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    « Passion simple », horreur et extase

    Titre : Passion simple
    Autrice : Annie Ernaux (audio, lu par Juliette Binoche)
    Editions : Ecoutez Lire/Gallimard
    Date de parution : 4 mai 2023 (audio)
    Genre : Roman

    C’est l’histoire d’une femme qui attend un homme. Un homme d’affaire marié, qu’elle appellera A., en provenance d’Europe de l’Est. Il ne parle pas bien français, et la contacte dès qu’il a envie/quand il peut, pour passer l’après-midi à faire l’amour. Entre deux visites, elle attend, comme un zombie. Achète des vêtements neufs, pour ne jamais se présenter à lui avec des habits qu’il aurait déjà vus. C’est donc l’histoire d’un piège infernal dans lequel elle a été aspiré et duquel elle s’est extirpée quelques mois plus tard que décrit Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022, dans son livre en 1992.

    Juliette Binoche raconte d’une manière détachée le récit que fait cette femme de sa passion amoureuse dont elle sortit vivante. Elle le raconte d’un ton monocorde, froide et distante, comme une intellectuelle bourgeoise qui a trop bien conscience de ce qu’elle a vécu. Cependant, si la voix peut surprendre, en début d’écoute de l’audio, on en vient très rapidement par se sentir concerné(e), impliqué(e), par l’horreur dans laquelle cette femme est tombée.

    Passion simple parle donc de cela, de l’attente. L’attente douloureuse d’une autre personne qu’on aime trop, tellement qu’elle nous empêche de vivre et qu’on la voit partout. L’attente de ses appels, de son corps une fois qu’il a appelé, de son prochain appel dès qu’il a franchi la porte et remis sa chemise. La vie se fige, s’arrête et ne reprend que lorsque l’homme (ici) appelle, donne des nouvelles, pour discuter un petit peu, pour échanger quelques moments de jouissance physique surtout. Un homme dont le corps est fantasmé, le sperme gardé à l’intérieur de soi, le verre dans lequel il a bu mis à l’écart pour garder des traces de sa salive. Un homme qui enferme, volontairement ou non, cette femme dans une non-vie, une mort sociale, comme beaucoup d’autres hommes avant et depuis.

    L’autrice décrit une femme emprise, perdue, et cette passion comme à la fois merveilleuse et horrible. Merveilleuse, lorsqu’elle est avec lui, quelques heures seulement, horrible durant des jours, des semaines, à devoir se coltiner la vie sans lui. Sa manière de décrire le sentiment de perte, de languissement puis de symbiose fait écho avec nos histoires personnelles, à nos vies où il est compliqué de s’extraire de l’idéal romantique passionnel et morbide dans lequel notre culture aime nous plonger.

    Annie Ernaux a construit une œuvre majeure bâtie sur un univers auto-fictionnel. C’est de nouveau un passage de sa vie, adapté depuis au théâtre et au cinéma, qu’elle raconte ici et racontera à nouveau en 2001, dans « Se perdre », publication de morceaux narrés de son journal intime. Les passages où elle parle d’elle en train d’écrire sont d’ailleurs très beaux, distinguant le temps de l’écriture du temps de la passion. Elle y fait preuve d’une grande lucidité sur elle-même, entre l’Annie l’autrice presqu’honteuse du récit qu’elle va publier et l’Annie amante qui relatait par nécessité le flou sexuel de sa vie autour de cet homme. D’une intelligence remarquable, elle taille en pièces le mythe de l’amour passionnel, tout en s’y abreuvant à pleine bouche pour ne pas en louper une goutte.

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