Pasolini
d’Abel Ferrara
Biopic, Drame
Avec Willem Dafoe, Ninetto Davoli, Riccardo Scamarcio, Valerio Mastandrea, Adriana Asti
Sorti le 31 décembre 2014
Pier Paolo Pasolini était romancier, nouvelliste, poète, scénariste, auteur dramatique, réalisateur, essayiste, voyageur, diariste, journaliste. Homme multiple, son œuvre artistique et intellectuelle se rassemble en un point : l’engagement politique.
Abel Ferrara s’empare du mythe. Scène d’ouverture sur Willem Dafoe dont l’humilité du jeu et la finesse de l’incarnation valent les révérences critiques. Ce premier plan est le plus beau. Dafoe/Pasolini tire sur sa cigarette. Conscient de son intensité, le cinéaste l’étire, le prolonge et, dans un même mouvement, éjecte définitivement du film son spectateur.
Le réalisateur commet-là deux erreurs. D’abord, il s’intéresse à la fin de la vie de l’artiste. De façon plus concrète : il fait ses choux-gras de l’assassinat du cinéaste. Or, rappelons que Pasolini mena une existante captivante, aux statuts divers : l’intellectuel précoce, l’homosexuel libéré, la superstar populaire (l’exposition à la Cinémathèque de Bercy, l’année passée, en traçait les lignes). La vie de Pasolini, dès sa naissance, sera aventureuse. L’homme n’avait pas besoin de la médiocrité de sa fin pour venir au monde.
Mais le meurtre et le sensationnel sont des faiseurs de légendes. Ils entretiennent le fantasme auprès des foules. Ils stimulent les imaginaires collectifs. Le réalisateur, en choisissant le côté sombre de l’artiste, ne scandalise pas à la façon de Pier Paolo. Il ne dénonce rien, il s’embourbe dans une pornographie ultra-léchée, longuette, fascinée par elle-même, bref, dans l’extrême inverse : le divertissement petit-bourgeois. Ce même divertissement auquel Pasolini consacre un livre, « Contre la télévision » (dont la traduction – épuisée, bien sûr – est parue dans la vaillante maison d’édition « Les solitaires intempestifs », fondée par le génial et regretté Jean-Luc Lagarce).
La deuxième erreur d’Abel Ferrara est de mener la danse dans un anglais-américain (Willem Dafoe vient du Wisconsin) augmenté de poncifs italiens (buongiorno, Ciao !, Arrivederci, Per favore, Grazie Mille, Scusi,…). Willem Dafoe porte les vêtements de Pasolini. Le véritable bureau du poète figure à l’image. Le tournage a lieu dans le restaurant qui l’accueillit quelques heures avant sa mort. L’amant et ami de Pasolini, Ninetto Davoli, tient lui-même un rôle (dans une sous-intrigue qui, dans sa mise en scène, ressasse ce dont le cinéma est capable de pire). Pourquoi, dès lors, ne pas user de la langue natale de l’écrivain, impérative lorsqu’il s’agit de faire vibrer les consonances et la poésie du discours ?
Le film est glauque, pervers et ennuyeux. Pasolini, l’homme au génie éclectique, à l’imaginaire retentissant, à la parole révoltée, aurait-il approuvé un tel cinéma, prisonnier de lui-même ?
Notons la flamboyante présence de Maria de Medeiros qui incarne la chanteuse et amie du cinéaste Laura Betti, et la jolie scène pertinente (et théâtrale : peut-être aurait-il fallu maintenir le film sur ce même ton) entre l’écrivain et le journaliste Furio Colombo (interprété par Francesco Siciliano).
Remettre Pier Paolo Pasolini au gout du jour était nécessaire. Soyons curieux, le personnage mérite le détour. Il est de ces iconoclastes, de ces péremptoires délivrés de leurs propres censures, de ces artistes dont la provocation n’est que le résultat d’une lutte interne, l’expression d’une poésie venant à maturité : Le refus a toujours joué un rôle essentiel. Les saints, les ermites, mais aussi les intellectuels, les quelques personnes qui ont fait l’histoire, sont celles qui ont dit « non »*.
Ouvrages primordiaux pour comprendre l’œuvre et le personnage :
– Poésies, 1953-1964, Gallimard, 1980 et Poésie, 1943-1970, Gallimard, 1980.
– Ecrits sur le cinéma, Presses universitaires de Lyon, 1987.
– Contre la télévision, Les solitaires intempestifs, 2003.
– Correspondance générale : 1940-1975, Gallimard, 1991.
– Théâtre, Actes Sud, 1995, Babel n°177.
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* P. P. Pasolini, « Nous sommes tous en danger », dans Id., Contre la télévision et autres textes sur la politique et la société, traduit de l’italien par C. Michel et H. Joubert-Laurencin, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2003, p. 92.