Titre : Pas d’ici
Autrice : Espérance Garçonnat
Edition : Rivages
Date de parution : 2 janvier 2025
Genre du livre : Roman
Dans son premier roman, Espérance Garçonnat nous plonge dans une quête identitaire où elle explore la complexité de l’identité moderne, fragmentée et en perpétuelle évolution, à travers la rencontre avec l’Autre et la mémoire.
Dans le conte de Pezzettino, publié en 1975, l’illustrateur Leo Lionni raconte un voyage à la recherche de son identité : Pezzettino, convaincu d’être un fragment de quelque chose ou de quelqu’un de plus grand, entreprend un long parcours et parvient finalement sur l’île désertique de Qui-Suis-Je, où il comprend que lui aussi, comme tout le monde, est composé de nombreux petits morceaux, uniques en leur genre, qui se forment justement dans un processus de fragmentation.
Le voyage du protagoniste du premier roman d’Espérance Garçonnat fait clairement écho à cette parabole. Exilé sur une île italienne, le protagoniste, surnommé Pezzettino par les autres habitants, mène de son propre choix une vie éloignée de son histoire et de son passé. Tout au long du roman, il parvient à se redéfinir à travers les fragments des vies des autres habitants du village isolé de Fermagina et les quelques détails de sa propre histoire, que le lecteur est invité à assembler les uns avec les autres. À travers l’observation des autres et les fragments d’un passé au Sénégal, Pezzettino tente de se reconnaître dans un tableau constitué de petits morceaux. Ceux-ci trouvent un fil conducteur dans l’environnement de l’île, qui, suspendue dans le temps, agit comme un catalyseur de cette quête identitaire. L’île elle-même émerge alors comme un personnage à part entière, un espace à la fois refuge et miroir, dont les descriptions détaillées plongent le lecteur dans un paysage géographique qui reflète les paysages intérieurs et mentaux du protagoniste, dominés par la nostalgie et la langueur, proche de l’idéal de vita lenta, fréquemment associé aux stéréotypes sur l’Italie.
C’est dans cet horizon que navigue le lecteur de Garçonnat, laquelle, tout en restant cohérent tout au long du roman, construit une série de questions qui prennent des caractéristiques paradoxalement plus opaques : plus Pezzettino dévoile des fragments de lui-même, plus de questions sans réponse surgissent. La vie passée de Pezzettino, sa véritable identité, sa possible histoire d’amour avec Manuela, les personnages éthérés et vaporisés qui entourent Pezzettino et l’île elle-même finissent par constituer un jeu de miroirs qui englobe aussi le lecteur dans cette atmosphère nostalgique en perpétuelle tension. Dans ce cadre, Garçonnat fait appel avant tout au pouvoir de l’imagination du lecteur, qui est naturellement porté à chercher une résolution là où l’autrice se soustrait délibérément à la clôture des intrigues narratives. Ce déplacement de responsabilité amplifie l’implication du lecteur, appelé non seulement à observer mais aussi à participer activement à la construction du sens du roman.
Le texte, caractérisé par un langage riche et vivant, s’impose comme un récit fidèle de notre identité moderne : fragmentée et complexe, assurément unique en son genre, tout comme les nombreux petits morceaux qui composent Pezzettino dans le conte de Leo Lionni. Le lecteur, traversant l’univers intime et suspendu de Garçonnat, se retrouve à parcourir le même voyage de découverte à travers l’absence, où l’identité se révèle non pas comme une entité définie et immuable, mais comme une mosaïque en constante transformation dont le lecteur doit saisir les nuances et les détails. Tout comme Pezzettino comprend que son unicité réside dans les fragments qui le composent, le roman nous invite à réfléchir sur la valeur de la fragmentation dans la construction de soi et sur le rôle fondamental de l’observation des autres pour donner forme à notre interprétation personnelle du monde.