Documentaire de Olivier Meyrou, dans le cadre de Nos limites de Radhouane El Meddeb, Matias Pilet & Alexandre Fournier
Lundi 9 février 2015 à 19h aux Halles de Schaerbeek
Le documentariste Olivier Meyrou a suivi pendant huit ans Fabrice Champion, grand trapéziste voltigeur, co-fondateur de la prestigieuse compagnie des Arts Sauts, laissé tétraplégique par un accident survenu au cours d’une répétition en 2004. Jusqu’à sa mort brutale en 2011 au cours d’une expérience chamanique, Fabrice Champion a continué à transmettre sa passion du cirque en enseignant à l’ENACR (Ecole Nationale des Arts du Cirque de Rosny-sous-Bois). C’est là qu’il rencontre Mathias Pilet et Alexandre Fournier, deux jeunes acrobates avec qui il imagine un spectacle et invente un langage acrobatique d’un nouveau genre, la « tétra danse ».
Ce qui intéresse le plus Olivier Meyrou, c’est visiblement le rapport au corps : on suit la manière dont le voltigeur, désormais arrimé au sol, apprivoise son corps paralysé, l’habite au quotidien, le rééduque. Pendant toute une partie du film, la caméra s’agrippe à la routine de Fabrice, marquée par la présence du fauteuil roulant, qui rend tout moins fluide. Olivier Meyrou aime capter le réel au plus près de ceux qu’il filme : le style est plutôt âpre, avec ses longs plans presque sans parole ou ses mouvements heurtés de caméra. Parade tient plus de l’évocation pudique et sobre que du portrait grandiloquent de l’artiste en héros : on y découvre un Fabrice Champion émouvant, généreux et plein de douceur, posant sur la vie un regard nourri de désir et d’incertitudes. Bien sûr, le circassien, qui parvient à être acrobate autrement, continue à transmettre aux autres, l’œil rivé sur les hauteurs, son expérience et ses conseils de trapéziste, sans perdre sa légèreté et sa bienveillance, nous épate. Mais Olivier Meyrou ne raconte pas vraiment la success-story du dépassement du handicap ou du battant qui retourne sur la piste, ni même le cheminement de Fabrice Champion pour redonner du sens à sa vie. En tout cas, tout cela ne passe pas par l’analyse, l’introspection ou les dialogues-fleuves : le cinéaste capte plutôt l’étrange et bouleversant rapport de corps qu’est l’acrobatie, à travers les répétitions où Fabrice initie Alexandre et Matias à une nouvelle approche de leur art. Là, quand il saisit les imbrications des corps, les bruits des roulades et les halètements, les regards et les mains qui s’accrochent et se soutiennent, Parade atteint une délicatesse et une intensité étonnantes. Il y a là une confiance, un abandon, un amour qui, dans leur mystère et leur grâce, nous bouleversent : comme dans le trapèze volant où, selon Stéphane Ricordel, ancien compagnon de Fabrice Champion aux Arts Sauts, « si on ne se regarde pas dans les yeux, si on ne s’aime pas, ne se respecte pas, rien n’est possible ». Cette intimité et cette attention des voltigeurs, Olivier Meyrou les saisit au sol, les mettant ainsi à notre portée : l’observation du juste et fragile équilibre que tentent de faire surgir Fabrice, Alexandre et Matias nous touche loin de tout impact spectaculaire.
Le style d’Olivier Meyrou, presque austère, peut rebuter. Pourtant, quand Fabrice, Alexandre et Matias inventent les mouvements, blaguent, commentent les enregistrements des répétitions, plus rien n’est rugueux : ils sont beaux, vivants, et ensemble. Sur le tapis, après le travail, les corps hyper maîtrisés se relâchent, et les trois acrobates, les uns contre les autres ressemblent à des gamins qui ont mis toute leur vie dans le jeu : assouvis, bienveillants, heureux.