Ouvrir la voix
d’Amandine Gay
Documentaire
Sorti le 29 novembre 2017
Les femmes noires afro-descendantes sont au centre du premier documentaire autoproduit de la réalisatrice française Amandine Gay. Dans son film choral, cette dernière donne la parole à vingt-quatre femmes issues de la diaspora africaine et antillaise. Tout au long du documentaire, les témoignages s’entrecroisent et se répondent pour raconter les expériences de ces femmes en France et en Belgique. Il y est question de race au sens sociologique du terme, de communautarisme, de genre, d’homosexualité, de santé mentale avec en filigrane cette interrogation : comment se construire dans une société qui sans cesse vous renvoie à votre couleur de peau et qui, bien souvent, l’utilise comme unique déterminant de votre personne ? La réponse n’est pas simple et les stratégies misent en place sont multiples.
Pas de musique de fond, une captation face caméra, des plans serrés sur les visages, le film ne s’embarrasse pas de fioritures. Ce choix de réalisation qui sort de l’ordinaire peut déstabiliser à première vue. Cependant, il permet de livrer un travail brut qui va à l’essentiel. On évite la dispersion et on se concentre sur la parole. Pendant deux heures, le spectateur écoute, se questionne, s’interroge sur ses propres comportements. Les gros plans créent une bulle d’intimité et on a l’impression de passer un moment privilégié en tête à tête avec des amies proches. Peu à peu celles-ci se livrent et racontent le racisme, les discriminations lors du parcours scolaire et professionnel, les micro-agressions quotidiennes. Elles nous parlent de leur corps et de la place qu’il occupe dans l’imaginaire occidental, de l’injonction à répondre à des canons de beautés qui ne correspondent pas à leurs traits physiques, de la difficulté à exister dans un paysage médiatique empreint de stéréotypes. Les témoignages reflètent la place de la femme noire dans une société majoritairement blanche, mais ils parlent également de la place qu’elle occupe au sein de sa propre communauté. Les expériences relatées semblent avoir marqué ces différentes femmes et elles ont sans aucun doute participé à la construction de ce qu’elles sont aujourd’hui. Malgré la gravité des sujets abordés, le film réussit à ne pas nous entrainer dans une atmosphère lourde et pesante. À mille lieues d’un misérabilisme de seconde zone, les femmes interviewées sont touchantes et attachantes, drôles et combatives. Malgré la fatigue et les désillusions, il émane de chacunes d’elles une envie d’exister et de prendre sa juste place dans la société ; dans un pays qui, n’en déplaise à certains, est aussi le leur. Elles sont mues par un désir irrépressible et légitime de pouvoir être ce qu’elles ont envie d’être sans devoir sans cesse entrer dans une norme définie par d’autres.
Ouvrir la voix est un petit bijou à ne pas manquer, car il éclaire d’une façon inédite la parole de la diaspora africaine. Un documentaire vrai et nécessaire qui donne à voir une pluralité de femmes dans leur diversité, des femmes noires comme on en voit rarement au cinéma.