Titre : On l’appelait Bebeto
Autrices : Javi Rey
Editions : Dargaud
Date de parution : 23 août 2024
Genre : Récit initiatique
Si on l’appelle Bebeto, ce n’est pas en hommage au célèbre joueur de football brésilien. Bebeto est benêt, avec sa maladresse congénitale et son corps bourrelé. Mais ce qui nuit le plus à son intégration, c’est cette mère insensée qui, nue sur son balcon, s’imagine cantatrice. Le seul pour qui ces incongruités sont moins repoussantes que mystérieuses, c’est Carlos. Entre eux, naît une (presque) belle amitié d’enfance qui durera le temps d’un été.
On l’appelait Bebeto est un récit initiatique dans sa forme la plus commune, à savoir celle qui prend l’été pour témoin du passage à l’âge adulte. C’est un modèle du genre, transpirant d’hormones, qui a notamment inspiré Rohmer, Kechiche, Guadagnino et Ozon. Et pour eux comme pour l’auteur barcelonais Rey, un récit d’initiation n’en est pas un sans première romance. Sans son petit coup de foudre prépubère qui rend bête et invincible. Carlos tombe éperdument amoureux. Et comme pour tous les jeunes adolescents, son idylle est inoubliable et dévastatrice. Carlos est évidemment aussi entouré d’une bande de copains qui se poussent sur la plage, font des courses à vélo et comparent leurs premiers poils de couilles. Mais un jour qu’il leur manque un joueur, et contre l’avis de ses camarades, Carlos propose à un Bebeto hagard sur les gradins, de se joindre à eux.
Là où le récit initiatique de Rey prend des libertés par rapport au genre, c’est dans la relation qui naît entre Carlos et Bebeto. Carlos et Bebeto sont des personnages construits en miroir. Le premier entretient un rapport expectatif avec le temps qui passe. Il n’attend qu’une chose ; quitter les dalles chaudes du terrain de foot, fief des petits, pour goûter la torpeur alcoolisée des boites de nuit que préfèrent les plus grands. Bebeto est plus âgé et incarne le personnage du Peter Pan qui reste inlassablement vissé aux gradins à regarder le balle passée d’une équipe à l’autre. Carlos est la fougue de l’enfant pressé d’être un adulte libre, tandis que Bebeto est la naïveté et le refus des responsabilités. Une autre relation qui nourrit le récit, et qui évoque également le temps qui passe, est celle qui lie Carlos à sa grand-mère. Carlos se montre embarrassé, quand il n’est pas carrément ingrat, comme on peut l’être à cet âge-là avec nos aînés. Et pourtant, il est aussi admirablement protecteur et bienveillant envers cette grand-mère dont la vue a été rongée par la folie et le corps par le diabète.
Rey propose une imagerie des villes en périphérie de Barcelone. Il y a du soleil bien sûr, mais surtout de l’asphalte. Un couloir de bitume interminable qui s’étend jusqu’à la capitale catalane où les tours de béton ne s’arrêtent pas, mais prennent un peu mieux vie. Que le ciel soit orangé ou bleu azur, les échangeurs et les ponts autoroutiers restent là, régnant sur la ville. Mais c’est l’été et Rey adapte sa palette en conséquence. Les couleurs sont caniculaires. Les personnages se dénudent et profitent des vents côtiers. Et nous, on se laisse glisser dans la torpeur du récit, sans pouvoir en décoller. On se réveille hagard comme après la sieste des heures chaudes, sans plus aucune notion du temps.