Texte et mise en scène de Patrick Chaboud avec Sara Amari, Muriel Bersy, Loïc Comans, Christelle Delbrouck, Claire-Marie Lievens, Thomas Linckx, David Notebaert, Stéphane Stubbé et Xa
Du 10 octobre au 26 octobre 2014 à 20h30 (le dimanche à 15h30) au Magic Land Théâtre
Patrick Chaboud, le directeur artistique de ce lieu enchanteur, écrivait ces quelques mots d’introduction : «Après la trilogie des contes, les sagas oniriques et le mélodrame, j’ai eu envie d’écrire une comédie de boulevard en suivant les codes traditionnels. Bien sûr, on ne se refait pas… surtout avec les années… et ce nouveau spectacle déviera immanquablement de sa ligne initiale. Alors, oui, il y aura des amants et des placards, mais j’ose croire qu’ils dissimuleront bien d’autres choses et que ce huis clos verra s’entredéchirer les passions, basculer les évidences et s’envoler les certitudes. Au final, le boulevard nous aura servi de toile de fond pour vous entraîner une fois de plus dans cet univers si particulier qui est le nôtre.»
Mélopolis, nous faisait revivre l’époque des barricades, à Paris, lors de la Commune. Nuit torride à l’hospice allait donc plonger les spectateurs quelques quarante ans plus tôt et, de nouveau, en France.
Le Château de la rue d’Hoogsvorst s’apprêtait à relever de nombreux défis, et les spectateurs à découvrir le boulevard à la sauce Magic Land.
La curiosité piquée au vif, nous voilà nous dirigeant vers la rue d’Hoogvorst. Les comédiens nous accueillent dès l’entrée de ce qui devient pour la soirée, la demeure de la Marquise. Nous sommes déjà prévenus que ces souterrains seront notre porte de salut dans le cas où les Révolutionnaires viendraient réclamer des têtes. Cette mise en jambe utilise les talents d’improvisation de la troupe, dans laquelle chacun des comédiens détourne un peu son costume pour souhaiter la bienvenue. Nous «faisant nous sentir chez nous», cet accueil est la marque du Magic Land, la cerise sur un gâteau qui promet d’être savoureux et crémeux.
La crème se veut légère et vaporeuse, avec des costumes transportant spectateurs et comédiens dans cette époque où corsages, manches bouffantes et dentelles pour ces dames et les hauts-de-chausses, le velours et les brocarts des vestes pour ces messieurs étaient d’usage à la cour. Cette prouesse technique des costumes sert divinement l’intrigue et rehausse, de son apparat, les décors. Ceux-ci nous emmènent dans les intérieurs d’un château, où une pièce va sûrement se jouer, rappelant l’une des frasques de Marie-Antoinette pour l’époque : installer son propre théâtre dans le domaine du Petit Trianon, lançant par la même occasion la mode des représentations théâtrales dans les familles nobles.
Une fois le décor posé, nous sommes directement installés dans l’intrigue avec la réinterprétation, par l’ensemble de la troupe, de Tout va très bien, Madame la Marquise. Ce savoir-faire de la troupe est toujours aussi intact, et, malgré quelques voix manquant parfois d’un peu de coffre, la mélodie entraîne le public à chanter en cœur le refrain avec les comédiens. Il en sera de même à chaque chanson : les paroles et les airs sont très faciles à retenir, surtout lorsque l’ensemble de l’équipe technique, des costumiers aux décorateurs, en passant par les stagiaires, se cache dans les gradins ! Ce glaçage de musiques et de chansons enrobe la pièce comme une forêt noire et nous fait saliver en attendant de découvrir le cœur de cette pâtisserie.
Loin d’être aussi légère qu’aurait pu annoncer ce premier choix musical, la pièce installe très vite un contraste entre sa partie boulevard et sa dramatique, même si une mise en abyme se décèle dans les détails, parfois saugrenus, comme ce diable efflanqué se carapatant plus vite que son ombre, tel un frelon rouge piqué au vif.
Par la mise en scène de sa propre vie, la Marquise est un témoin vivant de la misère que connaît toujours le petit peuple alors que la Révolution gronde et commence à faire tomber les têtes. Elle semble, néanmoins, en avoir oublié les désagréments dans sa tour d’ivoire, et ne voit pas le couperet de la guillotine frapper à sa porte. Au contraire, sa vie n’est parsemée que de rencontres avec ses anciens amants, du temps où elle a dû vendre son corps pour survivre. Cela donne l’occasion de voir et revoir les multiples « effets placards » du théâtre de boulevard et permet de reprendre son souffle entre deux scènes dramatiques.
Tout comme les strates d’un mille-feuille bien agencé, l’alternance du feuilleté du boulevard avec la lourdeur de la crème pâtissière de la mise en abyme donne une profondeur à l’ensemble et sert d’écrin aux tableaux présentés sous nos yeux.
De cet ensemble savoureux, l’on découvre au cœur un seul thème : la dignité de chaque homme et femme. Cette dignité humaine qui sous-tend chacun de nos pas.
Les défis que s’était lancé le Magic Land Théâtre sont relevés. Cette dernière pièce renvoie à un registre finalement complètement différent de celui de Mélopolis.
En outre, telle une pièce montée, elle pourrait paraître indigeste, tant le nombre de couches et de goûts différents semble si abondant. Pourtant, la magie du Château d’Hoogvorst opère une fois encore et devrait continuer à submerger les spectateurs par cette capacité à les emporter loin de leurs tracas quotidiens, tout en les invitant à réfléchir, par le biais de truchements judicieusement choisis, aux problèmes de notre société.