De nos jours, lorsque vous rencontrez un humoriste français et que vous lui demandez une adresse à Bruxelles, il vous répondra sans hésitation le Koek’s Théâtre. De fait, nombreux sont ceux à avoir foulé les planches de ce café-théâtre typiquement bruxellois.
Aujourd’hui, le lieu affiche régulièrement complet. C’est pourquoi, les propriétaires, dont la très charmante Patricia Bonnaventure, ont décidé de déménager leurs locaux deux rues plus loin, Avenue de Jette à Koekelberg.
Plus de place, plus de confort, plus accessible, le nouveau « Koek’s » a réussi sa mue. L’occasion pour nous de partir à leur rencontre.
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Patricia Bonnaventure, cela fait de nombreuses années que vous avez fait du Koek’s Théâtre le café-théâtre le plus mythique de Bruxelles. Cette année, vous déménagez deux rues plus loin, pourquoi ?
Nous sommes très contents de pouvoir investir ces nouveaux locaux. Cela faisait très longtemps que nous attendions cela. En fait, dès le jour où nous avons ouvert le Koek’s Théâtre, il y a treize ans.
C’est une maison de coin qui permet de faire tout ce que nous avons toujours souhaité, comme par exemple loger les artistes de passage. Normalement, nous aurions du y entrer bien avant mais la maison avait brûlé.
Pourquoi avoir choisi dès le départ de vous installer à Koekelberg ?
Il faut savoir que lorsqu’on ouvre un café-théâtre, il faut éviter que les frais soient trop conséquents car on ne doit pas vendre les places à 50€. Tous les cafés-théâtres – que ce soit à Marseille, Lyon ou Nice – se trouvent dans des quartiers abordables.
À l’époque, j’habitais dans le Sud de la France. Un jour, en épluchant les petites annonces, je suis tombée sur un vieux café bruxellois. Un ami va le voir et me dit «Vas-y, il est fait pour toi ! ». J’ai dès lors fait la route de nuit pour le visiter le lendemain et signer.
Mais il aurait tout aussi bien pu se trouver à Saint-Gilles, à Jette ou autres.
Une salle dédiée à l’humour et aux humoristes belges également ?
Tout d’abord, la scène belge va pouvoir être mise en avant tous les mardis. Ce sera le cas de Kevin (Ndlr : connu sous le nom de scène de Kevin le forain) qui est un mannequin sur photo mais dès qu’il ouvre la bouche, c’est un vrai «ketje» de Bruxelles. C’est quelque chose qui manque actuellement.
Il y aura également des premières parties comme Jeremy Leruitte. C’est un garçon qui est très jeune mais dans lequel je crois beaucoup. Il évolue très bien, il a récemment fait la première partie de Kev Adams à Bourges.
Comment faites-vous pour avoir une si belle affiche dans un lieu qui, finalement, n’est pas si grand en terme de places assises ? Comment faites-vous pour inciter les artistes à venir chez vous plutôt qu’ailleurs ?
Cela fait très longtemps que je fais ce métier. Dès lors, j’ai connu beaucoup d’artistes à leurs débuts qui sont aujourd’hui très connus. J’ai gardé un très bon contact avec la plupart d’entre eux.
Prenons un exemple : Garnier et Santou. Je les ai découverts la toute première fois au festival Juste pour Rire de Nantes, il y a huit ou neuf ans. Ils avaient gagné le National du Rire et ils avaient le droit de présenter un sketch de cinq minutes. Au bout de ces cinq petites minutes, je me suis dit que ces mecs étaient géniaux, j’ai donc souhaité les avoir en spectacle. Ils sont venus quelques mois plus tard au Koek’s et m’ont dit : «Tu seras à jamais la seule personne à nous avoir engagé sur cinq minutes ! ».
Par après, leur carrière a évolué. Un jour, nous nous croisons dans un festival et ils me disent avoir un nouveau spectacle en préparation et vouloir venir le jouer au Koek’s. Rien que de me le dire, j’étais déjà très contente, même si je savais pertinemment bien que ce serait difficile vu leur succès et leur agenda.
Pourtant, il y a six mois d’ici, Garnier m’appelle et me dit : « donne-nous des dates !». Il n’y a que trois lieux, dont deux en France, où ils font cela pour la simple raison qu’il n’est plus question aujourd’hui qu’ils jouent dans de petites salles.
Pareil pour Arnaud Tsamère. À l’époque, je le suivais depuis dix ans et, au moment où je voulais le prendre au Koek’s, il a signé avec Pierre Palmade. Penaud, il vient vers moi pour me dire qu’il est embêté car il veut faire mes dates mais que, dans le même temps, il est engagé pour incarner un rôle comique. Je lui ai dit d’y aller, que je comprenais parfaitement et qu’il pouvait venir par après. Mais entretemps, Ruquier est arrivé avec l’émission On n’demande qu’à en rire.
À ce moment-là, je me suis dit qu’il ne viendrait plus. Mais non, il a exigé de venir malgré les réticences de sa production.
Bref, j’ai toujours gardé un excellent contact avec les artistes. Certains ont continué leur route, d’autres ont arrêté. C’est un métier très difficile, encore plus depuis l’émission de Laurent Ruquier. Il y a un avant et un après Ruquier.
Pensez-vous que cette émission, On n’demande qu’à en rire, a étouffé le marché ?
Il y a une chose de bien dans cette émission, c’est qu’elle a pu montrer au public qu’il existe autre chose en humour que les dix noms qui restent au-dessus du panier.
Les gens ont vu qu’il y avait des deuxièmes et troisièmes couteaux tout à fait valables grâce à cette émission. Hormis Nicole Ferroni, tous les humoristes qui en sont sortis avaient dix ans de planche derrière eux.
Par contre, il y a eu une dérive qui ne vient pas du public, mais d’un tas de gens qui se sont dits : « Houlala, il y a des sous à se faire avec ça ». Résultat : les petits nouveaux étaient convaincants sur trois minutes, ils signaient un contrat mais sur une heure et quart, c’était autre chose.
Lorsque l’on regarde ces émissions, on ne se rend pas compte qu’il y a dix années de métier derrière. Maintenant, il existe des exceptions. Des gens qui sont tombés dedans quand ils étaient petits, comme Jamel Debbouze. Le mec peut lire le bottin téléphonique, ça va fonctionner.
Si on la compare à une ville française, pensez-vous que Bruxelles soit un terrain propice pour les humoristes ?
Paris est une exception car on paie pour y jouer. Maintenant, si on la compare à Lyon, il est clair qu’il y a beaucoup plus de choses qui se créent là-bas.
Tout d’abord, parce que la culture du café-théâtre y est plus ancrée. Ensuite, parce que tous les cafés-théâtres de Lyon ont la culture de la nouveauté.
Lorsqu’on prend comme exemple l’Espace Gerson, il y a une multitude de spectacles qui s’y jouent. Maintenant, tout n’est pas bon, c’est évident, mais ils lancent régulièrement des jeunes.
Allons-nous voir des jeunes artistes au Koek’s dès lors ?
Oui, mais il faut qu’il y ait du travail derrière, que ce jeune artiste ait un spectacle complet. Lorsque les gens viennent, ils doivent voir un spectacle, cela ne doit pas être de l’amateurisme.
C’est important de respecter le public car, au lieu de rester devant sa télévision, il vient dans un café-théâtre voir quelqu’un qu’il ne connait pas.
Comment construisez-vous votre saison ?
Je prends en compte les demandes du public. Par exemple, je sais qu’il n’est plus bon de venir avec de l’humour noir pour l’instant. Les gens n’en veulent pas car il y a un raz-le-bol général.
Maintenant, ce n’est pas parce qu’ils ont besoin de souffler que je ne peux pas les emmener vers de la nouveauté de temps en temps.
Pour en revenir à la construction d’une saison proprement dite, il faut savoir que l’on s’y prend très longtemps à l’avance. Je viens de signer pour un spectacle qui viendra seulement en février 2016. Tout cela pour être certaine de l’avoir.
De plus, je dois construire ma saison intelligemment. Il ne faut surtout pas que quelqu’un vienne me voir après un spectacle en me disant : « tiens, cela m’a fait penser à un autre spectacle ». Il ne faut pas prendre deux artistes à la suite qui ont le même univers ou presque.
Bref, j’essaie d’être éclectique.
En se promenant entre les tables lors d’un spectacle, on se rend compte que vous avez des habitués dans la salle. C’est assez rare de nos jours de voir un public si fidèle…
Tout à fait. Dès le départ, nous avons tout simplement respecté les gens. C’est un commerce comme un autre.
Cela commence par l’accueil. Si quelqu’un vient après avoir passé une mauvaise journée, il ne doit pas voir des gens qui tirent la gueule. Je le dis très souvent aux personnes avec qui je travaille.
En parlant du nouveau lieu, qu’allez-vous pouvoir faire aujourd’hui que vous ne pouviez pas faire hier ?
Je vais pouvoir développer la découverte de jeunes talents. Pour commencer, le Made In Brussels Show va s’inviter au Koek’s une fois par mois avec trois coups de cœur.
Je continuerai également les battles. Cela fait quelques années que nous avons mis cela en place et les gens commencent à en comprendre le principe.
Quel est ce principe de battles ?
Les battles, ce sont deux artistes belges et deux artistes français qui s’affrontent en un contre un. Ils ont chacun vingt minutes pour convaincre. Ensuite, les gens votent avec des petits drapeaux.
Les deux qui ressortent vainqueurs font une dernière battle entre eux. Le grand gagnant va en demi-finale avec les gagnants des autres soirs. La finale a lieu en mai et celui qui l’emporte gagne une programmation au Koek’s l’année suivante.
C’est une idée de Gérard Sibelle. C’est un homme peu connu du grand public mais c’est lui qui a trouvé des talents tels que Florence Foresti ou Gaspard Proust. Cet homme est un dieu, l’un des plus grands dénicheurs de talents.
Votre premier spectacle de la saison sera Garnier et Santou avec Bientôt en chute libre le 24 septembre. Un gros rendez-vous pour démarrer la saison…
Oui, ils arrivent avec un tout nouveau spectacle et des sketchs inédits. Ce sont deux artistes qui fonctionnent très bien et qui ont ressenti le besoin de revenir vers leur premier amour, après être passés par la télévision et les pièces de théâtre.
Ce sont deux bosseurs invétérés, je sais dès lors qu’ils vont nous proposer un spectacle génial.
plus d’infos sur le site du théâtre : www.koeks.be