Projet de Sophia Geoffroy, Noémi Knecht et Hélène Lacrosse
Crédit photo : MB
Elles sont, à elles trois – l’âme d’ado exaltée, l’esprit de sagesse et de maturité, le moi adulte normal, aspirant au cocon de la vie de famille et du pavillon de banlieue – une femme entière. Trois facettes d’une même existence, trois visages, trois comédiennes pour raconter une même vie – et les mille vies qu’elle recèle, les mille histoires un brin arrangées, les mille souvenirs à demi refoulés, les mille désirs et les milles regrets.
La vie en récit, voilà le point central de Nous qui sommes cent, narration originale d’une vie à la première personne du pluriel, vie envisagée comme un combat permanent entre les récits et les moments de soi qui cherchent à prendre le pouvoir. Quels points de nos existences deviendront des bifurcations décisives, quelle courbure sera négligée, quel fantasme sera tordu ? Les comédiennes jouent avec tous ces possibles, qui nous composent, et on se plaît à tomber dans le piège, à jouer dans le tissu d’anecdotes, de rêves fous et de destin banal qui jalonnent le parcours chaotique tantôt douloureux, tantôt léger, de cette fille attachante, un peu paumée, un peu conformiste, un peu dingue, un peu perdue entre tous ses moi. Dans les paroles de l’un, l’escapade roots de quelques mois, parenthèse libertaire avant les retrouvailles de l’amour conjugal auprès d’un informaticien, s’étirent jusqu’à devenir une vie entière de lutte couronnée de succès pour la paix dans le monde. Chez l’autre, les routines et les platitudes de la vie de couple se transforment en ingrédients pimentés d’une aventure glamour.
La mise en scène est à l’image de l’énergie qui émane des comédiennes : pas d’une grande complexité ni d’une grande profondeur mais fraîche, légère, astucieuse et vive, pleinement au service des relations qui se nouent et se dénouent entre elles et des micro histoires qu’elles font exister.
L’écriture de Jonas Hassen Khemiri est plaisante – touchante, efficace, visuelle, riche en relief et en humour. Toutefois, même s’il évite la mièvrerie, on n’est pas particulièrement ébloui par ce qu’il nous dit sur la quête du bonheur et l’importance de garder ses rêves de jeunesse en vie sans se laisser happer par les frustrations et l’étroitesse de la vie adulte. Peut-être aussi que le jeu des jeunes comédiennes qu’on devine proche de ces dilemmes, tout en conférant une saveur certaine à la pièce, aplanit quelque peu l’ambiguïté, l’autodérision ou le second degré qu’une autre interprétation aurait davantage mis en avant. Mais ce qu’on aime surtout ici, c’est le jeu des fictions qui se chevauchent, le tissage perpétuel qui fait de notre vie même une histoire de rembobinage et de recomposition, de bricolages sans cesse à refaire entre les mythes intimes et les images dérisoires qui nous peuplent : le grand théâtre de nos petites vies.