De et avec Fran Kourouma. Mise en scène et adaptation de Sandra Raco. Du 30 mai au 2 juin 2023 au Le Vilar.
Fran Kourouma est Guinéen. Il a 20 ans lorsqu’il fuit son pays d’origine dans l’espoir d’une vie meilleure en Europe. Ce n’est que quelques années plus tard, alors résident au « Petit Château », centre Fedasil bruxellois, qu’il rédigera le récit de sa traversée sur son smartphone. Un témoignage bouleversant qui dépasse les enjeux artistiques.
Parfois le théâtre dépasse une frontière. De fiction, il devient témoignage. De drame, il devient expérience de vie. Il est alors difficile d’avoir un avis ou une opinion quelconque. Que dire face à l’horreur, face à des parcours dont nous ne pouvons à peine imaginer le traumatisme ? Ce sont des histoires qu’il nous est presque douloureux d’entendre le récit à cause de ce sentiment d’injustice qui nous déchire le ventre. Au-delà de l’empathie, nait aussi un sentiment de culpabilité parfois. Face à tant d’horreur, il est aisé de se questionner sur le sens du mot fraternité dans nos sociétés européennes. Toutefois, Fran Kourouma réussit l’exploit de ne pas avoir écrit le procès d’une inaction sociale. Jamais accusateur, il se dresse comme un Homme souhaitant à travers son histoire obtenir le respect et la considération qu’il mérite.
Du livre à la scène
Il était certainement difficilement envisageable pour Fran Kourouma d’imaginer que ces 800 pages qu’il avait rédigé sur son smartphone seraient éditées et feraient l’objet d’une adaptation théâtrale. Mieux encore, qu’il serait le narrateur de sa propre histoire, lui qui confesse aisément qu’il n’a jamais pris un cours de théâtre de sa vie. Mais qui de mieux que lui, aurait été capable de cela.
Il aura suffi de plusieurs rencontres et d’une marraine fée incarnée en metteuse en scène, Sandra Racco, pour faire exister ce projet. Sur scène, il nous racontera l’histoire de sa vie. Plus particulièrement, sa traversée. Parti sans rien sauf l’espoir de lendemains meilleurs, il connaitra les réseaux de passeurs, l’esclavage, l’enfer de la Lybie, l’angoisse d’une Méditerranée déchainée, les centres fermés et la rue. Que dire de cela ? Si ce n’est compatir, serrer les dents et tenter le plus possible d’être à l’écoute de ce qu’il a décidé de nous délivrer.
Y a-t-il un terme plus fort que résilience ?
Chaque jour, Fran Kourouma et Sandra Racco tiennent un bord de scène à la fin du spectacle afin de proposer un moment d’échanges. On vous avoue qu’il est bien nécessaire après la charge émotionnelle reçue quelques minutes plus tôt. Tout d’abord, bien évidemment, la première question qui survient c’est : « Comment allez-vous aujourd’hui ? ». On cherche un Happy End, refusant naïvement qu’un tel récit puisse en plus mal finir. Alors que statistiquement parlant, la proportion des fins heureuses dans des cas comme nous venons d’entendre le témoignage est minime. Il faut avoir survécu à tout, au point où on pourrait presque parler de miracles.
A l’issue de ce moment passé en leur compagnie, nous nous interrogeons tout de même sur la force que Fran Kourouma doit déployer pour monter sur scène et nous faire le récit de ces horreurs. Lui, qui a vu des choses que des yeux doivent avoir peine à oublier. Nous parlons de cadavres d’amis, de séances de tortures, de viols innommables. Sans compter la peur qu’il nous relate, celle d’une mort qui peut subvenir à tout moment. Les coups reçus, les passages à tabac qui le laissent pour mort au sol. Des mots atroces qui sont des souvenirs. Et la première chose que l’on se demande c’est : « Comment fait-il pour être débout, pour en parler, pour être là en face de nous avec un projecteur dirigé sur lui ? » A cela, il nous répondra : « Moi ça me fait du bien d’être avec vous ici, de parler. Quand je sors d’ici, je dors très bien après ».
Y a-t-il un mot plus fort que résilience ? Plus vaste que courage ? Plus grande que respect ?
Cette parole qu’il libère chaque jour sur scène voit partir avec elles des dizaines de fantômes qui furent jadis des amis, des compagnons d’infortune, des yeux à peine croisés. Au-delà de la notion d’Art, de théâtre, nous parlons tout simplement d’Humanisme et de Fraternité. De l’urgence de la solidarité et de l’importance d’ouvrir les yeux.
Notre soleil est une pièce importante et nécessaire. Elle dépasse le cadre du loisir, de l’envie, elle est d’utilité publique. Son importance et sa pertinence dépasse de loin les murs d’un théâtre et nous espérons qu’elle rencontrera le succès qu’elle mérite et continuera encore sa route pendant plusieurs années.