Conception et mise en scène Sophie Linsmaux, Aurelio Mergola, avec Julie Dieu, Colin Jolet, Muriel Legrand, Sophie Leso, François Regout et un groupe de figurants Nunzio Cisternino, Raphaël Faelli, Stella Kieffer, Fabienne Lichtert, Mélanie Pluss, Maurice Raty, Stefano Rocco, Laura Ughetto, Christine Wayenbergh, Dany Woit.
Le Théâtre Les Tanneurs ouvre sa programmation avec No One, un spectacle de la compagnie Still Life qui aborde le concept de bouc émissaire et sa relation avec les dynamiques de groupe et la psychologie de la foule. Au travers d’une démarche d’observation du quotidien, de ses conventions et des comportements collectifs, Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola créent un langage corporel qui repose sur des actions et des gestes presque codifiés et exploitent les relations entre les corps pour passer un message univoque et clair. Le message passe aussi grâce aux remarquables synergies entre les comédiens et les figurants : depuis la salle on peut reconnaitre la qualité de leur travail de groupe et sur le groupe.
Perdu dans un coin isolé d’on ne sait pas quelle autoroute, un groupe de touristes rejoignent une pompe à essence suite à une panne de leur véhicule. C’est un soir très chaud, l’air est presque irrespirable et ils cherchent à se restaurer après avoir marché jusque-là, en lieu d’être dans le bus qui devait les amener vers des vacances de rêve. La frustration est évidente et les tensions ne tardent pas à arriver surtout quand le téléphone de la pompe à essence, seul moyen de communication fonctionnant, disparaît mystérieusement. Le gérant de la pompe essence se retourne à la recherche d’un coupable et tout le monde fait de même. Une ambiance de méfiance et d’hostilité s’installe. Tandis que le public suit la scène de l’intérieur et donc est à connaissance du sort du téléphone, ces personnages essaient de trouver un coupable, quelqu’un qui devra répondre de toute cette situation désagréable, une personne à accuser par vengeance sur la vie. Un bouc émissaire.
De manière cohérente avec sa démarche, la compagnie Still Life met en scène un événement assez réaliste, qui est tout à fait possible dans la vraie vie. Quelque part, ça ressemble à l’incipit d’un fait divers, c’est ce genre de situations tout à fait possibles mais qu’on croit trop loin de nous et que pourtant sont à l’ordre du jour. Dans ce contexte, il est intéressant de voir comment les normes sociales deviennent de moins en moins contraignantes. On est pris comme par un sentiment collectif de retour aux besoins primaires et on a besoin de punir quelqu’un pour que la situation que l’on vit, qui parfois est juste un enchainement d’incidents, soit reconnue comme une véritable injustice. No One fait réfléchir autour de la figure du bouc émissaire, de sa fonction sociale mais surtout autour de la psychologie d’un groupe et de ses enjeux.
No One a le mérite de remettre ce sujet sur la table dans une période historique où il est totalement d’actualité, où on s’interroge sur les limites, entre individu et collectivité, entre public et privé. Il faut reconnaitre aussi que la thématique abordée est tant intéressante et intrigante que vaste et profonde. Ce n’est pas évident de traduire en langage scénique des dynamiques collectives, de reconstruire sur la scène un mouvement composé de plusieurs relations cause-effet, action-réaction, et parfois de tensions imperceptibles et subtiles dans les échanges humains et dans les psychologies des individus. Cette inévitable difficulté se traduit avec un déséquilibre dans le rythme de la narration. La situation semble précipiter très rapidement, comme en chute libre, mais après une toute petite montée.