Scénario : Luke Healy
Dessin : Luke Healy
Éditeur : Casterman
Sortie : 03 mai 2023
Genre : Roman graphique
En route moussaillon ! Cap vers le grand Nord ! Nous sommes en 1912 et un sinistre naufrage fait la une. Mais il en faut plus pour décourager le professeur Stefansson de prendre le large. Lui qui s’apprête à prouver que sous la glace se cachent assez de ressources pour rendre habitables les régions les plus inhospitalières. Lui qui va ouvrir à un monde en expansion, les portes d’un nouveau continent.
À ce stade, on pense embarquer pour le récit d’une découverte. Une histoire de révolution scientifique ou quelques affaires dans ce goût-là. Comme ces pauvres fous qui sont montés à bord, on s’est fait dupés. Stefansson est peut-être un érudit. Mais c’est un marin d’eau douce. Il n’a clairement pas la trempe pour monter une telle expédition. Dérivant à plusieurs milliers de kilomètres de sa destination, son bateau fait naufrage quelque part dans l’océan Arctique. Ce n’est pas sur une île au large du Canada mais au casse-pipe qu’il enverra son équipage. Et pire que tout, avant qu’il ne soit trop tard, l’expéditeur de renom met les voiles. Il quitte le navire, au propre comme au figuré, abandonnant lâchement ses hommes à leur triste sort.
Portrait du milieu académique
En parallèle à l’histoire de Stefansson, se raconte celle de Sully. Rien ne semble relier les deux professeurs si ce n’est ce bureau qu’ils ont tous deux occupé au sein d’une université du New Hampshire. La postérité ne retiendra du premier que son grade de chercheur émérite. Le second en revanche sera banni de l’entre-soi universitaire. En cause, la relation homosexuelle qu’il entretient avec un étudiant. No Limit dresse un portrait peu reluisant du milieu académique. Des intellectuels qui laissent mourir des travailleurs dont ils tiraient de toute façon profit. Ceux-là même qui sont intouchables, qu’importe le sang qui tache leurs mains. De ce système qui protège autant qu’il exclut. On comprend l’intérêt de cet enchevêtrement narratif. Malheureusement, les sauts dans le temps – qu’il emploie en se faisant croiser les destins mais aussi dans les récits eux-même – rendent parfois l’ensemble un peu confus. Voire disparate. Mais, pour sa défense, la matière est dense.
On se laisse assez facilement entraîner dans l’aventure, notamment grâce aux ambiances graphiques que l’auteur installe. Quand Luke Healy nous éclaire d’un ciel polaire tout de rose et de vert, ça nous rappelle Les Pizzlys de Jérémie Moreau. Il faut dire que la ressemblance colorimétrique est trompeuse. Et que le fluo a la côte. Les auteurs dont le succès peut compenser le coût exorbitant de l’impression, auraient tort de se priver. Reste à espérer pour le journaliste Luke Healy que No Limit suscitera autant d’enthousiasme que son Americana.