De et avec Damiaan De Schrijver (tg STAN) et Peter Van den Eede (de Koe)
d’après le scénario du film de Louis Malle, écrit par Wallace Shawn et André Grégory
Du 26 au 28 février 2015 au KVS
My dinner with André, c’est un peu la fête de la mise en abyme : deux compagnies flamandes, tg STAN et De Koe, reprennent le scénario du film expérimental de Louis Malle, réalisé en 1981 à partir du scénario écrit par le comédien Wallace Shawn et par le metteur en scène André Grégory. Les deux auteurs y interprètent un certain Wally et un certain André, deux vieux amis qui se retrouvent le temps d’un dîner dans un grand restaurant new-yorkais : Wally est un comédien qui peine à trouver des rôles et à payer ses factures, et André un grand metteur en scène qui a mystérieusement disparu du monde du théâtre quelques années auparavant. Dans le film, la fiction se mêle aux épisodes inspirés de la propre vie de Shawn et Grégory. Et dans la pièce, Damiaan De Schrijver et Peter Van den Eede jouent allègrement de la confusion entre leur propre identité et celle de leurs personnages.
Le plaisir que nous procure My dinner with André comporte donc – au moins – deux niveaux. Il y a d’abord celui qu’on prend à la très longue conversation (3h30) que poursuivent Wally et André autour du copieux dîner qui les réunit. Tout les oppose : André, à l’égo boursouflé, aux tendances mystiques, ne cesse de prôner la connexion avec les autres et le monde, tout en étant incapable de laisser parler son compagnon de table ; Wally, bon vivant, beaucoup plus terre-à-terre, essaie désespérément d’en placer une et, à défaut, se concentre avec avidité sur la nourriture. Le décalage entre le récit extravagant d’André, racontant avec passion et conviction des expériences ésotériques de plus en plus bizarres, et les réactions d’André, dont la perplexité passe par un jeu de gestes et de regards jubilatoire en connivence avec le public, constitue un ressort comique dont on ne se lasse pas.
Plus qu’à une pièce écrite, on a l’impression de se laisser captiver par une conversation que l’on aurait saisie au vol : tantôt embrouillée, tantôt anecdotique, pleine des grands élans et des petits riens de la vie. Tout y passe : le rapport entre le théâtre et la vraie vie, le sens de la réalité, l’action et l’inertie, la communication avec les autres… Souvent, le fil se perd de lui-même, ça ne mène nulle part, les questionnements sont sans but et sans fin, mais cette confrontation désordonnée de deux visions de la vie reste malgré tout passionnante de fantaisie et de drôlerie.
Peter Van den Eede et Damiaan De Schrijver, qui se régalent des mets préparés chaque soir par des chefs différents, s’amusent comme des fous. Leur conversation est si naturelle qu’à de multiples reprises, André et Wally redeviennent Peter et Damian, le temps de s’assurer que le public suit bien le spectacle, de blaguer, de faire des allusions à la représentation de la veille… Les deux acteurs se livrent donc en direct à une expérimentation foutraque qui porte sur le théâtre même : cassant l’illusion théâtrale, ils commentent le scénario, se lamentent sur les spectateurs qui quittent la pièce, se déstabilisent l’un l’autre. La liberté de ton et l’énergie qui se dégagent de leur jeu, intégrant les imprévus et l’improvisation, alliées à leur complicité éclatante, rend ce spectacle dans le spectacle réjouissant.
Certes, le dîner souffre parfois de quelques longueurs. Il n’est pas facile de rester concentré pendant 3h30 sur les divagations métaphysiques et les délires illuminés d’André. Mais là encore, My dinner with André a la saveur de la vie, le goût propre aux inerminables discussions avec les vieux amis trop bavards qui, quelquefois, ont le don de nous agacer : à certains moments, on décroche. Mais on ne lâcherait la conversation pour rien au monde.
Photo: © Tim Wouters