auteur : Stephen King
éditions : Albin Michel
sortie : février 2015
genre : Thriller
Avec Mr. Mercedes, Stephen King s’essaye au thriller pur jus, dans la tradition du roman noir. Si ce virage et l’absence totale d’éléments fantastiques dans le récit peuvent être déstabilisants pour qui s’attend à sa dose de frissons annuelle en se procurant le dernier opus du maître, on retrouve néanmoins le style précis et ironique de celui-ci, toujours porteur d’un véritable point de vue sur la société américaine qu’il dépeint.
Plusieurs mois après avoir fait huit morts et quinze blessés en fonçant au volant d’une Mercedes sur une foule de chômeurs devant un salon de l’emploi, Brady Hartsfield se met en tête de pousser au suicide l’officier retraité Hodges, qui s’était vu confiée l’enquête sur « le tueur à la Mercedes ». Mais la lettre anonyme qu’Hartsfield envoie à Hodges produit l’effet inverse de celui escompté, puisque l’ancien policier se met en tête de démasquer de lui-même le tueur. Épaulé par des acolytes aussi improbables qu’un jeune black surdoué de 17 ans, que la sœur d’une des victimes collatérales de Brady et qu’une quarantenaire névrosée aux attitudes d’adolescente, Hodges n’aura de cesse de traquer son ennemi.
Le roman se partageant principalement entre les lignes narratrices parallèles et les deux points de vue – de Hodges et de Brady –, il oscille aussi sans cesse entre deux styles d’écritures, de langage, King mettant un point d’honneur à se mettre dans la tête de chacun de ses deux protagonistes. Cela ne fait que rendre plus poignants les questionnements de Hodges sur le sens de sa vie de retraité, et plus malsaines les élucubrations psychotiques de Brady. Cette démarche constitue ce qui fait tout l’attrait du livre, aussi passionnant dans les atermoiements introspectifs de ses deux personnages que dans le déroulement de l’action au sens strict. L’autre singularité résidant dans le caractère amateur du psychopathe qu’il décrit. Mr. Mercedes est en effet un des rares polars dans lesquels pratiquement tout ce que le tueur entreprend ne se passe pas comme prévu.
Mais le récit ne s’arrête pas à ses deux « têtes d’affiches », puisqu’il crée toute une galerie de seconds rôles ayant chacun sa particularité et sa saveur, même s’ils sont toujours vu par le prisme du regard de l’un ou l’autre des personnages centraux. La manière dont King dessine parfaitement les contours des « adjuvants »de Hodges, avant de les faire pleinement intégrer l’équipe qui tentera de déjouer les plans de Mr. Mercedes est magistrale, car elle permet au lecteur d’avoir l’impression de tout savoir d’eux, afin d’anticiper et de vivre avec eux leurs actions et leurs réactions, comme l’aurait par exemple le spectateur d’une série après plusieurs saisons en compagnie des mêmes personnages.
Les techniques de narration et l’efficacité du style de King font donc à nouveau mouche avec ce Mr. Mercedes. Mais le livre intéresse également par l’acuité du regard qu’il pose sur des réalités sociales, en particulier celles du monde du travail. La situation professionnelle de Brady, se partageant entre deux petits boulots, l’évocation de la situation des chômeurs au salon de l’emploi, dans l’introduction, ainsi que la condition des retraités à travers l’exemple de Hodges,… tout cela dresse un tableau assez large mais pessimiste d’une réalité globale. C’est aussi ce qui fait la force des romans de King, cette ambivalence entre « page-turner » imparable et deuxième degré de lecture toujours pertinent.