Monira Al Qadiri, originaire du Koweït, ouvre une exposition monographique au BOZAR en cette fin d’automne. Cette artiste visuelle dont la pratique artistique a évolué dans différents territoires, de Berlin au Japon, offre un regard fouillé et ludique sur les cycles de vie. Déconstruite, sa réflexion artistique se nourrit de l’histoire de la région du Golfe, d’allégorie plastique et des nouvelles technologies.
Le culte de l’objet
Directement, lorsque nous pénétrons la rotonde royale de BOZAR, on se sent propulsé dans un monde parallèle, le fond sonore signé Raed Yassin et le mouvement des œuvres pose un calque virtuel sur les matériaux et l’espace. On est accueilli par deux grands Sphinx de Tanis modelés par de la fibre de verre, homogène et régulière, la matière sculpte leur corps musclé. Les références à l’Égypte ancienne sont évidentes, ces dieux couleur noir pétrole semblent symboliser la masculinité. Le liquide opaque à la lourde viscosité devient brillant et dur. Leur design comme leur posture évoque le combat, la détermination, ils posent sur leur socle dans une posture guerrière. Dans une salle adjacente découpée en séries de tombeaux, des statues de pierre provenant de différents musées nous parlent ou plutôt répètent d’une voix d’automate ce que leur a soufflé une intelligence artificielle. L’imperméabilité de ces êtres énigmatiques transparaît dans l’absence de lueur dans leur pupille creuse. Célestes et mécaniques à la fois, elles pointent du doigt la dimension sacrée dans une production industrielle ainsi que notre capacité à projeter des mythes sur des objets.
Hybridité chaotique
A travers ces compositions hybrides édifiantes et austères, l’artiste peut poursuivre sa réflexion sur les mécanismes de construction identitaire, d’écriture de l’histoire et sur l’écologie. Les protagonistes ou objets invoqués nous entraînent dans un univers qui allie étrangement tradition et science-fiction. La scénographie dans cet endroit atypique qu’est le Palais ne nous indique pas de chemin, l’ensemble harmonieux où l’art vidéo rencontre les temps anciens se dresse comme une invitation à établir des liens selon les différentes sensibilités analytiques. Avant l’âge du pétrole, l’environnement peut nous sembler rugueux, odorant, poreux ; ici le format 3D le rend lisse, sans accros, nous sommes loin des ruines archéologiques fissurées et marquées par le temps. Le mouvement circulaire et régulier que l’on retrouve dans l’installation numérique Archeology Of Beast empêche l’accident, les entassements d’objets provenant de marchés à ciel ouverts du Louxor projetés sur un mur pourrait symboliser le cycle éternel de vie et de destruction. Le traitement plastique évoque celui d’un jeu vidéo, d’un parc d’attraction type futuroscope : “c’est l’exposition la plus technologique que j’ai jamais créée” explique Monica Al Qadiri dans un entretien. Se tissent alors des échos improvisés d’une figure à l’autre.
Entre deux mondes
Des épis de blé couvert d’or couvre tout un pan de mur de l’arène dans Aaru : After Lament, l’œuvre apporte légèreté, beauté et minimalisme. À l’aide de lunettes d’immersion en réalité virtuelle nous sommes invités dans un espace hors du temps baigné de soleil. Profondément méditatif, ce paysage édénique apaise et hypnotise, ces tiges appartiennent aux morts, à ceux qui sont passés dans l’au-delà, les livres des morts égyptiens ont d’ailleurs inspiré Al Qadiri. Cette création ouvre de nouvelles portes concernant notre rapport aux mythes et la hiérarchie en oscillant entre le concret et l’insaisissable. Les connexions et les frontières établies d’office sont questionnées à travers une virtualisation des êtres et de l’imaginaire collectif. L’histoire plastique devient ici une allégorie du principe anachronique sur lequel repose la réflexion esthétique : ubiquitaire, divines, les créatures réactivent des formes de spiritualité dans les artefacts autant qu’elles s’en moquent. Vidéos, statues et récits sont comme des réincarnations numériques divines, on pourrait qualifier cette orientation de technomystique.
Sans en tirer aucune déduction anthropologique, le simulacre rencontre le biologique et la bestialité la civilisation : notre monde technologique s’anime de différentes formes de vie et s’oppose ainsi à la distinction entre nature et culture. Une exposition savamment pensée où la violence suggérée est palliée par la dérision.
- Ou? Bozar, Rue Ravenstein 23, 1000 Bruxelles
- Quand? Du 14 novembre 2024 au 09 mars 2025 et du mardi au dimanche de 10h à 18h
- Combien ? 6 €, différents tarifs réduits possibles