Le 8 mai dernier, un jeune photojournaliste de 36 ans était interpellé en Turquie, dans la ville de Hasankeyf, alors qu’il réalisait un reportage sur l’eau pour le prestigieux National Geographic. Son nom, retenez-le bien, Mathias Depardon.
Alors qu’il résidait depuis cinq années en Turquie, Mathias Depardon a été arrêté à un poste de contrôle et suspecté de participer à la propagande terroriste du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), un groupe armé en lutte avec le pouvoir en place en Turquie. Dans les faits, ce sont des clichés pris en 2014 par Mathias Depardon avec des combattantes kurdes qui ont mis le feu aux poudres (elles sont d’ailleurs visibles sur son compte Instagram).
Toujours est-il que depuis le 8 mai dernier, Mathias Depardon est incarcéré dans un centre d’accueil géré par la Direction des affaires migratoires à Gaziantep. Une situation très difficile et incompréhensible pour le journaliste qui avait entamé une grève de la faim le 21 mai, interrompue cinq jours plus tard suite à la visite de Christophe Hemmings, le consul adjoint d’Ankara. Après cet entretien, le ministère des Affaires étrangères français a redoublé d’efforts pour faire libérer son ressortissant. Le président fraîchement élu, Emmanuel Macron, a d’ailleurs rencontré, la semaine dernière à Bruxelles, le président turc Recep Tayyip Erdogan qui a promis d’examiner rapidement la situation. Pourtant, Mathias Depardon est à ce jour, toujours détenu en Turquie.
Une vérité qui dérange
Si Mathias Depardon est suspecté de favoriser la propagande terroriste suite à sa série de clichés, le sujet de son reportage – la guerre de l’eau au moyen-orient – pourrait également être à l’origine de sa détention. De fait, le Sud-est de la Turquie est une région meurtrie par les luttes ethniques mais également par son économie en berne. Afin de remédier à ce problème, un grand plan régional a été élaboré à Ankara dans les années 70, le GAP (Güneydoğu Anadolu Projesi), pour permettre d’irriguer 1,7 millions d’hectares de terre et de relancer l’activité agricole dans la région, à savoir le coton, le blé, l’orge et autres céréales.
Pour ce faire, le gouvernement a entamé la construction d’une vingtaine de barrages sur le Tigre et l’Euphrate. Le plus imposant d’entre eux, le barrage Atatürk, est déjà en activité depuis 1990. Mais d’autres doivent encore voir le jour, notamment dans la région de Hasankeyf, dans la province de Batman. Ce barrage engloutirait entièrement la ville de Hasankeyf et une cinquantaine de villages et petites villes alentours. Une catastrophe pour ses habitants – à majorité kurde – et pour les vestiges archéologiques ayyoubides qui s’y trouvent.
Mais ce n’est pas tout. Ce projet est également au coeur d’une querelle avec les pays voisins que sont la Syrie et l’Iraq. Et pour cause, leur approvisionnement en eau provient en majeure partie des deux fleuves que sont le Tigre et l’Euphrate. La construction de ces barrages entrainerait une baisse de 17 à 34% du débit des fleuves précités. Pire pour l’Iraq et la Syrie, ils dépendraient entièrement du bon vouloir de la Turquie, qui serait alors techniquement capable de fermer le robinet.