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    La Mondaine : Police des dessous chics et douteux…

    la mondaine couverture

    scénario : Zidrou
    dessin : Jordi Lafebre
    éditions : Dargaud
    sortie : 24 janvier 2014
    genre : Polar

    Après une première collaboration remarquée sur l’album Lydie le scénariste Belge Zidrou et le dessinateur espagnol Jordi Lafebre se retrouvent pour La Mondaine. Un diptyque plongeant dans l’univers sulfureux du Paris nocturne des années 30. Entre les interrogatoires à coup d’annuaire et les « fonds de culotte rances de la France » Zidrou et Lafebre nous entraîne sur les pas de l’inspecteur Aimé Louzeau, nouveau venu à la police des mœurs dont la morale va être mise à rude épreuve.

    Réfugié dans un abri souterrain pour échapper aux bombes alliées Aimé Louzeau refuse la cigarette que lui offre un officier nazi et se souviens de ces premiers pas dans un autre sous-sol, celui du Quai des Orfèvres, fief des policiers de brigade mondaine. Ce long flashback qui occupera l’essentiel de l’album nous ramène en 1937, à l’époque où la Der des Der s’effaçait lentement et laissait la France libre de prendre du bon temps.

    C’est volontairement qu’Aimée Louzeau a demandé son transfert à la brigade des mœurs, un choix surprenant de la part de ce fils de bonne famille qui vit seul avec sa mère et la femme de ménage qui les accompagne depuis son enfance. Lui qui a l’âme fleure bleu et entretient en dilettante son vieux rêve d’enfant de devenir chef indien, se retrouve dans un monde où les vertus s’échangent à des prix convenus d’avance.

    Ses collègues sont pour le moins portés sur « la chose » et l’inspecteur principal Séverin, trouble mentor, ne fais pas exception. Au fil des bulles Louzeau s’initie aux perversions de sa nouvelle famille. En parallèle, l’histoire de ses troubles origines se dévoile et attache immanquablement le lecteur à son sort.

    La Mondaine est un album qui prend son temps, laissant la personnalité des protagonistes prendre le pas sur l’intrigue. Ce n’est qu’avec le dernier tiers du volume que les choses se compliquent. Lorsqu’au détour d’une mission d’infiltration dans un Club secret pour le moins exotique, Louzeau fait la rencontre de la mystérieuse Eeva, dont le piquant double « E » sonne comme exquise et envoutante.

    Prenant, sensible, le scénario signé par Zidrou présente cependant quelques faiblesses. Ce n’est sans doute qu’un effet du découpage en deux volumes, mais le rythme de la narration souffre de l’importance accordée à la psychologie du personnage principal et le lecteur cherche parfois un peu où se trouve l’intrigue. Plus gênant peut-être, son portrait fini par l’emporter aussi sur celui de la brigade des mœurs dont l’album nous laissait présager la découverte détaillée. Le scénario aurait sans doute gagné à faire plus amplement référence aux fonctions moins avouables de la mondaine qui était avant tout une agence de renseignement (élément simplement évoqué dans l’album) célèbre pour sa propension à l’extorsion et au chantage, ainsi qu’une instance souvent brutale de répression des pratiques jugées « déviantes » sous la Troisième République. Cette tendance à éviter la noirceur comme les couleurs trop vives se retrouve dans les dialogues qu’on aurait pu attendre plus fleuris, et enfin dans l’histoire elle-même qui reste somme toute bien sage. Ni vraiment faite pour les plus jeunes, ni pour les lecteurs plus aguerris, une certaine imprécision flotte sur le public auquel s’adresse cette publication.

    Par ailleurs, on notera le caractère authentique du dessin qui ne cherche pas à tout crin à faire « d’époque », tel le photographe du dimanche qui se lâche en activant le mode sépia de son Coolpix pour donner dans la nostalgie. Au contraire, Levebre parvient avec talent à rendre réelle l’atmosphère de la France de l’entre-deux-guerres, peuplée de gueule cassées et de petites pépées. Fouillé, soutenu par un sens du cadrage avisé et une palette de couleurs remarquablement fournie son style pêche parfois par la bonhomie qu’il confère aux personnages même dans leurs postures les plus sombres. Qu’importe, malgré ce détail l’album reste une réussite sur le plan graphique.

    On attendra donc, non sans une certaine impatience, le second volume de La Mondaine pour s’avoir si les bonnes promesses du premier se confirment.

    Alexis Hotton
    Alexis Hotton
    Journaliste du Suricate Magazine

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