Texte de Jeanne Dandoy, Lionel Ravira d’après le roman d’Arthur Schnitzler. Mis en scène par Jeanne Dandoy, avec Epona Guillaume, Alexandre Trock. Du 1 au 11 octobre 2020 au Théâtre des Martyrs. Crédit photo : Lionel Jusseret
Miss Else est une fine adaptation du roman Fräulein Else d’Arthur Schnitzler, publié en 1924, dans lequel la jeune protagoniste cède à un dangereux jeu de séduction. Else a 15 ans et traverse la phase de l’adolescence où on est en quête de soi-même, pris entre des rêveries naïves, des comportements spontanés et des raisonnements un peu ingénus et un peu excentrés. De plus, elle a grandi au sein d’une famille nocive, avec un père avocat qui risque la prison et une mère égoïste qui ne lui donne pas l’écoute et l’attention dont elle aurait besoin. Elle est en vacances avec sa tante dans un hôtel fréquenté par des célébrités et rêve d’être riche, d’épouser un homme en Amérique et de faire la fête tous les jours avec des stars. Quand ses parents lui suggèrent de demander une grande somme d’argent à un acteur qui se trouve dans l’hôtel (une vieille connaissance de la famille) pour que son père puisse éviter la prison, elle est face à un dilemme qui lui coutera cher : doit-elle accepter la proposition sexuelle de cet homme, pour pouvoir aider sa famille ? Et encore, comment peut-elle refuser cette attention qui est en même temps appréciée et violente ? Jeanne Dandoy aborde ainsi les questions du consentement des mineurs et de l’abus de pouvoir de la part des adultes qui devraient les protéger.
Dès le début du spectacle, on est dans la tête d’Else, on suit ses raisonnements et ses divagations, on vit les événements de son point de vue, on se met dans la peau de cette adolescente qui veut tout et son contraire. La jeune Epona Guillaume porte le spectacle du début à la fin, de plus en plus aisément, épaulée par l’assurance d’Alexandre Trocki. Le personnage masculin fait aussi des apparitions sur la scène et nous invite à écouter l’autre point de vue, celui de l’homme qui ne se sent pas coupable, qui met en avant ses raisons jusqu’à se sentir, lui aussi, un peu victime des événements. Les deux personnages n’échangent jamais entre eux et le spectateur plonge dans deux discours parallèles, comme deux allées qui ne se croiseront jamais : le vécu de la victime et celui du bourreau.
Dans une scénographie simple et efficace, qui crée une ambiance fluctuante, on plonge dans l’histoire et dans la tête d’Else, on la suit, on saisit complètement son point de vue, on comprend pourquoi son « oui » n’était pas vraiment un consentement. Grâce à une mise en scène intelligente et subtile, on aborde aussi autrement le personnage d’Alexandre Trocki : il n’est pas un monstre, il est un homme, et c’est par cette humanité qu’il agit.
Miss Else est un spectacle qui a le mérite de ramener à l’actualité une histoire écrite il y a un siècle, de mettre en lumière, de manière sobre et nette, une problématique intemporelle, et de nourrir la réflexion en montrant clairement l’urgence d’un débat renouvelé.