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    Miséricorde, chaos queer

    De retour à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien employeur boulanger, Jérémie s’installe un temps chez Martine, sa veuve, au grand dam de son fils Vincent. Sa présence perturbe la quiétude du village et de ses rares habitants, jusqu’à l’irréparable.

    Thriller bressonnien, fable existentialiste, comédie grotesque : il est difficile de réduire Miséricorde à une simple étiquette. Le film d’Alain Guiraudie est en réalité tiraillé entre deux forces en apparence contraire : l’une vitale, du côté de la comédie et de la jouissance hédoniste, l’autre funeste, caractérisée par une violence qui menace perpétuellement d’exploser. Situé à la jonction de ces deux élans, le personnage de Jérémie apparait comme un être de désir absolu, semblant avoir envie de tout le monde et tout le temps. À la manière du Théorème de Pasolini, il devient rapidement le centre de toutes les attentions de cette petite communauté enclavée sur elle-même : soupçonné, jalousé, désiré, le jeune homme devient le moteur du chaos.

    Les prémices sont en effet marquées par une tension qui ne dit pas son nom, incarnée dans l’opposition entre le jeu flegmatique et clair de Félix Kysyl, qui interprète Jérémie, et la carrure imposante et le regard bovin de Jean-Baptiste Durand, qui campe Vincent. Sur fond de jalousies, les retrouvailles de ces amis d’enfance vont doucement tourner au pugilat jusqu’à ce qu’un jour, Jérémie tue Vincent. C’est à ce moment que le film bascule et prend une tournure inattendue : à l’enquête policière qui démarre pour confondre le jeune homme, Guiraudie vient ajouter une série d’éléments comiques, grivois, qui témoigne d’un refus de se conformer aux diktats du genre policier.

    Cinéaste buissonnier, il n’est pas étonnant de voir l’Aveyronnais privilégier un chemin détourné, lui qui a tant filmé des territoires délaissés du cinéma français. Ne s’embarrassant d’aucune convention scénaristique formatée, il permet à son film de prendre une forme hybride, mutante, n’hésitant pas à reconfigurer le récit en cours de route, quitte à changer de ton et d’enjeux. Ainsi, le personnage du policier se révèle vite être un chefaillon zélé au point de s’introduire la nuit dans la chambre du Vincent pour l’interroger dans son sommeil. Autre élément comique : le personnage de Martine, veuve un peu naïve formidablement interprétée par Catherine Frot, charriant avec elle l’excentricité de ses précédents rôles et que l’on retrouve dans son phrasé chevrotant.

    Cette liberté de ton et de forme se manifeste également à travers la question du désir, qui irradie le film. Guiraudie dépeint un monde dans lequel la sexualité ne souffre d’aucune orientation définie, où il est admis que tout à chacun peut désirer n’importe qui, homme ou femme. Le désir y est inextricable de la mort, à l’image de ces morilles turgescentes qui poussent et repoussent à l’endroit où est enterré le corps de Vincent. Ou de ce personnage de prêtre, figure déroutante d’autorité cléricale qui s’accommode du pêché mortel au nom de la chair. Faisant perpétuellement peau neuve, le film est d’une fluidité jouissive et protéiforme, irréductible à la norme (à côté, le film d’Audiard ressemble à une note d’intention un peu idiote) : Miséricorde est une œuvre profondément queer. Son dernier plan, sublime et ambigu, rappelle celui qui concluait magnifiquement L’Été dernier de Catherine Breillat, et parvenait lui aussi à marier des sentiments pourtant hautement hétérogènes. Ici : la culpabilité, le pardon, l’amour filial et le désir. Amen.

    Arthur Bouet
    Arthur Bouet
    Journaliste

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    MiséricordeRéalisateur : Alain Guiraudie Genre : Comédie, PolicierActeurs et actrices : Félix Kysyl, Catherine Frot, Jean-Baptiste DurandNationalité : FranceDate de sortie : 23 octobre 2024 De retour à Saint-Martial pour l'enterrement de son ancien employeur boulanger, Jérémie s'installe un temps chez Martine, sa veuve, au...Miséricorde, chaos queer