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    Métier : doubleur ! – Les voix de l’ombre

    Hollywoo ©Studio Canal

    Que l’on aime ou que l’on déteste, le doublage fait partie intégrante des productions audiovisuelles diffusées au cinéma et à la télévision. Substitution de la bande originale d’un film par une autre bande sonore (en français en ce qui nous concerne), cette pratique permet l’accès à des œuvres audiovisuelles étrangères sans s’encombrer de sous-titres. Si le doublage divise, avec d’un côté les partisans de la VO (version originale) ou VOST (version originale sous-titrée), et de l’autre les adeptes de la VF (version française), il demeure omniprésent dans l’univers audiovisuel.

    Mais comment ça marche ? Comment devient-on doubleur ? En quoi ça consiste ?

    Rencontre avec Nicolas Matthys, acteur de l’ombre admirateur de Patrick Poivey (voix officielle de Bruce Willis), humble, mais conscient de son ego de comédien.

    Doubleur, une vocation … et un peu de chance

    Quand il était aux études et qu’on lui demandait ce qu’il faisait, Nicolas se disait étudiant en chômage. Non pas parce c’était la « glande » mais parce qu’il était conscient de la difficulté de son futur métier. Fier d’être arrivé là où il est après s’être battu, d’avoir fait valoir son talent et tout simplement d’avoir réussi, il se dit son plus grand spectateur.

    Aujourd’hui âgé de 29 ans, Nicolas a toujours porté une certaine attirance pour le domaine artistique. Inscrit en option art de son école secondaire, il se dirige ensuite vers l’IAD (Institut des arts de diffusion) où il n’y fait qu’un passage éclair d’un an. Il rejoint alors le conservatoire royal de Mons où il y occupera les bancs, ou plutôt les planches, pendant 4 ans.

    Lors de sa dernière année au conservatoire, Nicolas décide de forcer les portes des studios de doublage et d’assister à plusieurs enregistrements. « C’est comme ça que ça marche. Vous vous arrangez pour vous faire accueillir sur un plateau, vous dites bonjour à tout le monde, vous posez plein de questions sur le fonctionnement et on finira par vous proposer un essai » explique Nicolas. Après seulement 4 jours et un petit essai, un premier contrat pour des voix d’ambiance lui est offert.

    De fil en aiguille, d’un petit rôle à l’autre, l’acteur s’installe dans cet univers qui lui plaît et lui correspond. « La technique du lipping[1] m’a été très vite familière et mon nom a commencé à circuler parmi les DA[2] », poursuit Nicolas. « Il faut dire que j’ai une voix assez spécifique. En plus de ça, j’ai été vite catégorisé comme le « sosie vocal » de Mathieu Moreau ». Ce catalogage rapide lui a permis de se discerner facilement.

    À la sortie du conservatoire, contrairement à beaucoup de comédiens jeunes diplômés, il ne se dirige pas vers le CAS (Centre des Arts scéniques) et s’adonne entièrement au doublage. Il garde cependant un petit point d’attache avec un collectif de théâtre, comme beaucoup d’autres, non subventionné. « La scène, j’aimerais bien, mais niveau financier c’est très compliqué. D’autant que je suis de plus en plus attaché au doublage … affectivement et contractuellement (personnages récurrents, …) ».

    La voix des autres

    Un produit (film, documentaire, série, …) qui doit être doublé est envoyé par le distributeur à une boîte de doublage. Deux situations sont alors possibles : soit le distributeur impose tout ou une partie du casting des voix, soit la boîte de doublage a carte blanche et définit un DA qui composera lui-même son casting.

    Mais quelque soit la manière dont un acteur est sélectionné pour un personnage, à partir de ce moment-là, c’est généralement le même acteur qui reviendra (dans le cas d’une série).

    Bien sûr, plus que d’être attaché à un personnage fictif, il est aussi possible de devenir la voix « officielle » d’un acteur.  « Le déroulement classique pour devenir voix officielle c’est de contacter directement l’agent de l’acteur. Pour ma part je pourrais par exemple faire la demande pour Cameron Bright (X-men : l’Affrontement final, saga Twilight) que j’ai notamment doublé dans Little Glory. Je dispose d’assez de matériel pour faire la demande mais, personnellement, ça ne m’intéresse pas plus que ça. Je n’ai pas envie d’être associé spécialement à un seul acteur. À cachet identique, je préfère travailler plus sur différents personnages que sur un seul acteur ». Un choix artistique que Nicolas justifie par un véritable appétit de travail, « même si être associé à un acteur permet parfois une situation beaucoup plus confortable. Et puis je pense que la réussite du produit doit passer avant l’ego du comédien, donc si une voix colle mieux à un comédien à un moment donné, je ne suis pas pour le principe lui coller tout le temps la même voix. »

    nicolas matthys

    La voix du plus fort

    Le monde du doublage est vraiment un monde très accueillant, où il y a beaucoup d’écoute, de compréhension, et d’ouverture. Tout le monde est sur la même longueur d’ondes. Mais bien entendu, il faut tout de même se confronter aux autres pour être sélectionné, ou non, lors de « castings ».

    « Au niveau des voix, je suis dans une catégorie où on n’est pas 150. Pour certains types de personnages, je peux presque dire que j’ai une chance sur 3 que ce soit moi qui le décroche. Je me retrouve souvent en « compétition » avec les mêmes personnes. Quand je dis compétition, je veux dire qu’il y a concurrence mais sans pour autant qu’il y ait d’animosité ou autre. Je me rappelle d’un casting pour la série Cobra où nous étions 3 en compétition. Au préalable on s’est dit que celui qui remportait la voix payerait le resto aux deux autres. Et ce n’est pas moi qui ai dû payer le resto ! »

    Doubler un film, ça prend combien de temps ?

    « Pour un film moyen, dont on est le personnage principal, il faut compter entre un jour et 2 jours, 2 jours et demi de travail à raison de 8h par jour. L’entièreté du film, juste pour le doublage[3], peut être réalisée entre 4 et 7 jours. En général, il faut compter une semaine ».

    Mais un travail de doublage n’en est pas un autre. La charge de travail va notamment dépendre du support. La précision du lipping n’est logiquement pas la même si le produit est prévu pour être diffusé sur grand écran ou à la télévision. « Pour le cinéma, il y a souvent obligation de voir 2 fois la boucle[4] alors que sur certains produits, on y va à la volée. Notamment quand tu connais le personnage, quand tu sais comment ça se passe. Un dessin animé, par exemple, laisse plus de liberté et est ouvert à de l' »impro », ce qui n’est absolument pas possible sur un film. »

    Tout dépend aussi du lignage (nombre de lignes qu’a un personnage). Les souffles, rires, et autres onomatopées ne sont pas notés comme du lignage mais demandent tout de même un certain temps de travail.

     Voix de préférence

    Dans une carrière, un doubleur est évidemment amené à doubler beaucoup de choses très différentes, du très fun à des choses plus pénibles.

    « Les trucs les plus embêtants, ce sont les scènes d’amour avec juste des respirations. C’est pas franchement amusant. Sinon, quand j’ai des personnages plus âgés, j’essaye d’aggraver ma voix et là c’est très dur physiquement. Par contre, j’adore faire les blacks ! Placer des voix à la Eddie Murphy ou stéréotypées. Mais j’aime aussi faire des personnages à contre-emploi : un petit binoclard, par exemple, où il faut chercher plus de subtilité. Après il y a aussi des personnages qui m’éclatent mais qui me cassent la voix ![5] »

    Le doublage : pour ou contre ?

    « Les puristes aiment l’exactitude du texte de base et les subtilités du langage. Je comprends qu’il y ait une certaine frustration à regarder un doublage quand ce n’est pas la voix originale du mec. Ou de la fille. Ou du chien ! Car oui, il y a des chiens qui parlent. Mais c’est plus compliqué que ça : il y a en effet des films qui sont niqués à cause du doublage alors qu’il est bien à la base … mais le cas inverse existe aussi ! Le doublage améliore parfois le film. On pense toujours que le doublage c’est un peu « fake » contrairement au tournage où il y a une recherche d’émotions, etc. mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec ça. Les comédiens de doublage travaillent tout autant dans leur jeu et parfois même mieux que les acteurs d’origine. »

    Un rêve de doubleur en flashback ?

    « Si je pouvais, je reviendrais en arrière sans hésiter pour doubler Matt Damon dans Will Hunting. J’aurais aussi bien aimé doubler Ethan Hawke dans Training Day. Ou alors Will Smith dans Independance Day. »


    [1] NDLA : Le fait que la traduction orale doit s’approcher le plus possible de l’articulation produite dans la langue source par les mouvements des lèvres de chaque personnage.
    [2] Littéralement Directeur Artistique, plus communément appelés « directeur de plateau ».
    [3] NDLA : Sans la partie mixage.
    [4] NDLA : Une boucle est une longueur de bande qui correspond au temps pendant lequel un comédien peut travailler sans s’interrompre (environ une minute).
    [5] NDLA : Grenda dans Gravity Falls , Hulk rouge, …

    Quentin Geudens
    Quentin Geudens
    Journaliste du Suricate Magazine

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