Marcello Mio
de Christophe Honoré
Comédie
Avec Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve, Benjamin Biolay
Sortie en salles le 14 août 2024
Que deviennent les acteur.ice.s quand iels ne tournent pas ? Et bien ils perdent la boule, semble nous dire Christophe Honoré. Chiara Mastroianni passe un essai pour le prochain film de Nicole Garcia, avec Fabrice Lucchini. La scène ne convainc pas, la réalisatrice qui lui demande de la jouer « moins Deneuve, plus Mastroianni ». Il n’en fallait pas plus pour que la comédienne la prenne au mot. Costume, chapeau, perruque : en un tour de main, la voilà grimée en son père défunt, s’exprimant en italien, sommant tout le monde de l’appeler par son prénom : Marcello.
Avec cette comédie enjouée, Christophe Honoré investit la part aveugle du métier d’acteur.ic.e. En dehors des tournages, unités de temps intenses mais de courtes durées, ce métier réclame essentiellement d’attendre. Attendre qu’un autre projette sur vous un désir de personnage, qui, s’il est brillamment interprété, vous survivra peut-être dans les mémoires, pendant que votre être intime tombera dans l’oubli. Comme souvent chez Honoré, l’arrière-monde est sombre et pour le conjurer, il émet cette hypothèse : les acteur.ice.s jouent tout le temps, même quand iels ne jouent pas.
Filles d’un couple de cinéma mythique parmi les commédien.ne.s les plus célèbres au monde, sans cesse ramenée à son statut d’enfant de la balle, Chiara retourne comme un gant ces assignations en s’en emparant par son art : le jeu. C’est le merveilleux paradoxe de ce film : plus Chiara devient Marcello, plus c’est elle qui apparait. Le costume de ce père qui lui manque tant et qui lui colle désormais à la peau agit comme un révélateur. Perturbé par son désir de transformation, sa famille s’enquiert de sa santé mentale, tente de la ramener à son essence. Dans une très belle scène, Catherine Deneuve l’accompagne ainsi dans la maison de son enfance pour tenter d’y éprouver leur vie passée. Peine perdue : le film évite toute complaisance nostalgique et érige le jeu comme unique antidote à la crise existentielle. Deneuve n’en pense pas moins quand elle s’adresse au nouveau propriétaire des lieux : « en tout cas, c’est très laid ce que vous en avez fait ».
L’autre grande réussite du film se situe dans son rythme : au lieu de proposer une résolution, Marcello Mio privilégie la piste d’un emballement communicatif qui emporte tout sur son passage. Au début, seul Fabrice Lucchini, qui joue génialement de son extravagance naturelle, accepte sans protestation l’identité de son nouvel ami Marcello. Puis, petit à petit, c’est tout son entourage qui comprend instinctivement que la transformation de Chiara n’est pas une passade mais une mue, un chemin nécessaire qui l’emmène au plus près d’elle-même. Dans son dernier acte en Italie, terre natale de Marcello, toute la troupe est embarquée dans cette frénésie du jeu et accompagne l’actrice dans l’ultime étape de sa performance : la renaissance. Jeté.e.s à la mer actrices, acteurs, personnages, scénario et film. Dans ce bain de jouvence final et apothéose du jeu (dans tous les sens du terme), le cinéaste fait tabula rasa des conventions qui emprisonnent le cinéma et lui rend sa liberté mutante, insaisissable et terriblement excitante.