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    Marcel.le : quand Albertine se la joue Adèle Haenel

    Marcel.le se jouant des attentes du public, ma critique décrira ici des éléments « surprises », clés du spectacle. 

    Un homme, face à nous, sous une douche de lumière. Derrière lui, un peu en retrait, à jardin, une femme allongée. Il s’appelle Marcel, on s’en doute, elle se prénomme Albertine, comme il le dira. Lentement, d’un ton détaché et hautain, l’homme envahit l’espace mental et physique de la femme. Il veut savoir, connaître quels sont ses sentiments, pouvoir aussi avoir la certitude qu’il est le seul à la posséder. Il lui demande avec qui elle sort, si elle est amoureuse d’une femme, ce qu’elle éprouve quand elle fait l’amour, à quoi elle pense. Il se fait très, trop insistant. La scène change, la disposition des corps aussi, elle dort, il commence à la toucher, à tenter de profiter d’elle et de perpétuer son emprise. Acculée, la femme se ratatine, jusqu’au malaise… de la comédienne qui l’interprète.   

    Et c’est là que Marcel.le commence vraiment. Si cette première partie nous plonge dans un théâtre « du XIXème » siècle, qu’on peut néanmoins toujours voir dans certains théâtres en 2024, en FW-B, la deuxième partie (et tout le reste) sera plus vive. Le début est hiératique, lent, pédant, immobile, la suite se veut voltiges de parole, explosion comique, règlements de compte langagiers, destruction des forces (masculines) en présence. Jouant sur le (faux) malaise de la comédienne pour créer un vrai malaise dans le public, Thibaut Nève et Jessica Gazon, alias « l’homme » et « la femme », créent du théâtre dans le théâtre (dans le théâtre), mise en abîme multiple mais jamais vaine. 

    Mais que révèle ce.tte. Marcel.le, qui s’est vu rajouté.e un « .le » à son prénom suite à ses premières représentations, en 2021 ou encore en 2022 au Théâtre de la Vie, là où je l’ai découvert.e ? De quoi cherche-t-elle à être le nom, cette pièce ? Les réponses sont évidemment à chercher du côté du malaise de la comédienne qui joue Albertine, une Jessica Gazon fictionnelle. Elle semble réaliser dans quoi elle s’est embourbée, et tient à faire savoir que l’arrêt sur image ne sera pas que provisoire, il est définitif, le train est parti et il a déjà laissé sur le quai ceux et celles qui ne voulaient pas s’y embarquer, de peur d’y perdre des plumes, ou des privilèges. 

    L’homme, ou plutôt l’acteur qui l’interprète, le Thibaut Nève fictionnel, tentera de rattraper le coup, parce que tout de même, on est au théâtre. Les gens ont payé, il y a de l’argent qui a été avancé, elle ne peut pas faire n’importe quoi, cette comédienne, n’importe quand non plus. Il n’y a pas que ses problèmes personnels, dans la vie, il faut voir plus grand, penser aux autres. Et alors qu’il patine et s’emmêle les pinceaux, en devenant de plus en plus odieux, montrant progressivement son vrai visage, lui qui se pense allié parce qu’il a lu Chollet et s’est tapé les films d’Akerman, elle fera une « Adèle Haenel », elle prendra ses clics et ses clacs, et le laissera là. Enfin, pas vraiment, parce que nous sommes toujours bien au théâtre. Alors, de son malaise originel à l’incompréhension première face aux réactions de son collègue, la comédienne va soudain voir à travers lui et révéler ce qu’il n’ose même pas s’avouer à lui-même. D’un calme olympien, elle reprendra le contrôle sur la position verticale alors qu’il aura lentement sombré dans le canapé, pour disparaître.

    Vous l’aurez compris, Marcel.le, cela parle de notre société d’aujourd’hui qui se débat comme elle peut avec ce qui surgit et déborde suite à #MeToo. Beaucoup s’y reconnaitront sans doute (sans vouloir s’y reconnaître) ou y reconnaitront des proches, dans cette pièce qui déjoue les codes, varie les rythmes, semble à la fois plus courte (dans l’ensemble) et plus longue (la toute dernière partie) qu’il y a deux ans, et qui ne laissera pas indifférent.e. 

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