Manu
d’Emanuelle Bonmariage
Documentaire
Avec Manu Bonmariage
Sorti le 6 juin 2018
Après une quinzaine de documentaires et une cinquantaine de segments tournés pour l’émission Strip-Tease, c’est maintenant au tour du réalisateur Manu Bonmariage d’être au centre de l’attention. Aujourd’hui âgé de 77 ans, il cède la place à sa fille Emmanuelle, qui lui consacre son premier long-métrage, « un film sur les vieux cons ».
Mais Manu, tout en étant le portrait d’un père, est également le portrait d’un homme avec ses contradictions, ses doutes et ses erreurs. Par-dessus tout, c’est également le portrait d’un homme incapable de lâcher sa caméra. En 1929, lorsque Dziga Vertov sortait son « Homme à la caméra », il cherchait à prouver que le cinéma, en s’éloignant de la fiction, était le seul art capable de rendre compte de la réalité. Cette spontanéité est l’essence même du cinéma de Manu Bonmariage, que ce dernier qualifie lui-même de « cinéma de rue ».
Cette façon de concevoir l’art cinématographique sera dès le départ source de conflit entre le père et sa fille, l’une cherchant à orienter son récit par la mise en scène, l’autre peu enclin à jouer le jeu. « Toi aussi tu mets en scène » dira Emmanuelle à son père, et celui-ci de répondre : « Je ne mets pas en scène, je mets en montage ». Manu s’ouvre alors sur un conflit générationnel et sur l’opposition entre deux types de cinéma. Par le biais de cette opposition et le portrait dressé de son personnage central, Manu est également l’éloge d’une façon de faire, d’une vieille télévision, d’une vieille RTBF.
Mais surtout, le portrait de Manu Bonmariage est le portrait d’un homme qui semble aimer les gens malgré leurs défauts, leurs folies et leurs contradictions, le portrait d’un homme qui cherche à comprendre la complexité d’un être humain sans poser de jugement : « Tu ne juges pas, tu ne condamnes pas. Moi je trouve que c’est une salope, toi tu gardes de l’empathie » lui dira un protagoniste. Comme pour insister sur ce point, un extrait de Un homme, une ville : Point de rencontre (Manu Bonmariage, 1982), portrait de Jean-Luc Godard, sera présenté au spectateur. Extrait dans lequel Godard dira ne pas aimer les gens…
Indirectement, Manu permet encore de suivre d’une certaine façon le processus filmique de Strip-Tease, dans la façon dont Manu Bonmariage interroge les gens, allant parfois jusqu’à les pousser dans leurs retranchements. Ce sera notamment le cas au début du film, tandis qu’il filmera un vieil homme contre son gré, repoussant les limites malgré le refus de celui-ci. Cette invasion du domaine privé a quelque chose de dérangeant, même si le procédé aura probablement mené à certains des plus grands moments de Strip-Tease.
Cette réalisation d’Emmanuelle Bonmariage est un film tendre sur son père et le cinéma de son père. Car les deux sont indissociables, Manu ayant toujours une caméra, au point de vouloir filmer son propre enterrement. Ce retour en images et en témoignages amènera à plonger dans l’étonnante vie d’un homme aujourd’hui atteint de la maladie d’Alzheimer et ayant réchappé à une tentative d’assassinat sans que tout cela ne semble l’inquiéter.
Néanmoins, il convient d’émettre une légère réserve sur ce portrait : il s’agit de la présentation qu’une fille fait de son père. On ne peut par conséquent pas exclure une tendance à présenter les éléments de la façon la plus positive qui soit. À plus forte raison dans la mesure où, dès le début, elle avoue mettre en scène son travail. Il serait même possible de voir dans ce film une volonté pour Emmanuelle Bonmariage de s’imposer dans le monde du cinéma belge en marchant dans les traces de son père : une scène montrera Manu marcher dans le noir, un flambeau à la main avant de lâcher celui-ci et d’avancer vers l’obscurité avant qu’Emmanuelle elle-même n’entre dans le cadre pour reprendre le flambeau et avancer dans les pas de celui-ci. Si l’image est belle, elle pourrait donner l’impression que le film envisageait cette optique dès le départ, faisant de Manu non pas un film sur la vie de Manu Bonmariage mais un film sur l’horizon professionnel d’Emmanuelle. Reste un portrait touchant d’une fille pour son père et la présentation d’un homme hors du commun !