de François Boyer
Conception et Mise en scène : Sofie Kokaj avec Selma Alaoui, Sophie Sénécaut, Karim Barras, Simon Strosberg
Du 22 avril au 26 avril 2014 au Théâtre Les Tanneurs
Que se passe-t-il dans Mange ta glace ! ? En terme de récit, difficile à dire. Pas de début, pas de fin dans le sens classique du terme. Pas de grandes actions, de petites trahisons, pas d’histoires d’amour ni de jalousie. Personne ne meurt – attention, spoiler – si ce n’est un petit morceau d’espoir et l’idée qu’on se faisait du théâtre. Mais ne vous en faites pas, l’alternative que nous propose Sofie Kokaj est tout aussi intéressante.
Les influences de Sofie Kokaj sont multiples, de Ginsberg à Godard en passant par Deleuze, Pasolini et Patti Smith, elle brasse toute une série d’influences culturelles qui se rejoignent en ceci que tous ses mentors ont été des pionniers dans la création de nouveaux langages et de nouvelles formes d’expression. Et c’est précisément ce qu’elle compte faire ici. Comme Godard, elle réinvente la syntaxe. Comme Ginsberg, elle explose le rythme du vers. Les personnages s’expriment d’ailleurs chacun d’une manière bien spécifique parlant tantôt comme dans « Pierrot le Fou », tantôt comme une musique de bebop.
Même au niveau de l’espace scénique comme espace de croyance, Sofie Kokaj y va au bulldozer. La scène reste un portail vers un autre monde mais est à la fois coulisses, salle vide, lieu de création, de répétition, bref un monde en soi. La scène n’est plus exclusivement un espace rêvé, ce qui la désacralise et pose la question du langage théâtral comme geste d’expression. Et cette explosion passe également par une exploration du corps entre danse et théâtre. Tout un programme.
Mais malgré un sous-texte riche et complexe, Sofie Kokaj ne se prend pas la tête et porte sur cette création originale un regard auto-dérisoire et drôle. Portés par une interprétation géniale – on remarquera spécialement le duo d’actrices Selma Alaoui et Sophie Sénécaut qui se donnent sans compter – les personnages sont plus grands que nature, leurs traits sont poussés à l’extrême mais ils ne se prennent jamais au sérieux. Et c’est là que réside toute l’efficacité de la pièce : elle dit énormément sur le théâtre et la création artistique contemporaine sans donner de leçon à l’instar d’un de ses personnages qui dit justement que la création n’a d’intérêt que dans le « fun » qu’elle engendre. Et du « fun », Sophie Kokaj en a distillé des tonnes dans un « Mange ta glace ! » entre paillettes, révolution et poésie.