Ma Loute
de Bruno Dumont
Comédie
Avec Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valérie Bruni Tedeschi
Sorti le 8 juin 2016
Depuis La Vie de Jésus, son premier long-métrage (1997), Bruno Dumont continue son chemin dans le cinéma français. Après P’tit Quinquin, série en quatre épisodes diffusée sur Arte (2014) et mettant en scène des comédiens non professionnels dans un village du Boulonnais autour d’une enquête policière extravagante et burlesque, Bruno Dumont revient dans Ma Loute avec cette envie inassouvie de comédie.
Ma Loute oppose deux familles : l’une prolétaire aux moeurs bien étranges, du quartier des pêcheurs par là-bas, des cueilleurs de moules, puis l’autre, les Van Peteghem, grands bourgeois lillois venus en vacances sur la côte dans leur manoir dominant la baie. Sur un fond d’enquête policière, deux mondes qui vont se côtoyer sans se mélanger, se rencontrer par le biais d’une histoire d’amour shakespearienne — Ma Loute Brufort et Billie Van Peteghem touchés par la grâce et la pureté de l’amour.
Variation dans la continuité de P’tit Quinquin, Bruno Dumont emploie des figures récurrentes de ses films précédents : paysages grandioses du Nord de la France, bestiaire humain constitués d’acteurs du crû, non professionnels, tout en les mélangeant avec de nouvelles références qui viennent complexifier son cinéma. Pour la première fois, des acteurs non professionnels jouent face à face, duel contre duel, avec des acteurs ultra reconnus du cinéma français (Juliette Binoche, Fabrice Luchini, Valéria Bruni Tedeschi). Sans jalousie et sans distinction, Bruno Dumont les malmènent, les poussent, les radicalisent, grossissent leurs traits comme on appuierait sur des ombres.
Or, de tous ces personnages, si monstrueux les uns que les autres, il y a un visage, central, qui joue à l’ouverture — une sorte de respiration dans cette société normée et cintrée. Billie, pré-queer adolescente, enfant de Juliette Binoche alias Van Peteghem, se définit tantôt comme « elle », une jeune fille à la beauté pure et évanescente, tantôt comme « il », jeune garçon androgyne au carré punk. Son personnage pointe précisément une circulation des identités sociales et questionne de front, par la transgression, la question des genres.
En expérimentant les ficelles de la comédie, Bruno Dumont cherche son essence dans un mélange de mystique et de comique — traiter de sujets graves tout en riant sur le champ, pleurer et rire en même temps. Référence au burlesque de notre cher Jacques Tati, la comédie de Dumont flirte avec le grotesque dans son sens littéral et circassien. Chutes à répétition — des à la renverse de Valéria Bruni Tedeschi aux roulés boulés du commissaire de police (si gros qu’il ne peut se mouvoir en silence : aux portes d’un humour grinçant). Des portés récurrents aussi — cueilleurs de moules ET passeurs de barques miséreux. Enfin et surtout de la magie — la pureté du visage de Billie, des paysages de rêves, de mystérieuses disparitions…
Ma Loute réussit brillamment à nous transporter dans ces réalités de type augmentées, si dépouillées et réalistes qu’elles nous paraissent surtout décalées et démesurées. Jubilatoire !