Titre : Ma honte
Auteur : D’ de Kabal
Maison d’édition : Au Diable Vauvert
Date de parution : 16 janvier 2025
Genre du livre : Récit
Rappeur et slameur, D’ de Kabal a fait de la parole, plus qu’une arme, une vocation. Et pourtant, il y a des mots qui se sont toujours refusés à lui. À partir de son propre vécu, D’ de Kabal se rapproprie, enfin, les termes viol et inceste pour combattre le silence dans lequel la société enferme encore ses victimes masculines.
Les questions liées à la masculinité et à la construction d’un rapport de domination entre les genres sont légion dans la littérature actuelle. L’histoire de la femme est pénétrée par le viol et la violence. Aujourd’hui, sa parole commence enfin à se libérer, faisant de l’espace public un lieu de revendication en devenir, obtenu après des siècles de sévices. Mais dans cette insurrection nécessaire, une parole reste invisibilisée. Celle des hommes victimes de viol.
Et pourtant, le viol n’a pas de genre. D’ de kabal a toujours caché la poussière sous le tapis, sans se rendre compte que ce dont il a été victime est grave et déterminant dans sa sexualité. Une mère violente qui utilisait l’intimité comme objet de punition. Une tante qui se coulait dans le lit d’un enfant. S’il faut plusieurs décennies à l’auteur pour, d’abord, accepter son statut de victime et pour pouvoir, ensuite, se libérer publiquement d’un fardeau qu’il porte depuis l’enfance, c’est notamment à cause du déni social et juridique des violences sexuelles perpétrées par des femmes sur des enfants. Mais signaler ces violences, ce n’est pas sous-estimer celles vécues par les femmes. Comprendre qu’une victime est une victime, qu’importe son sexe, permet d’envisager certaines constructions genrées comme l’origine du mal, plutôt que de hiérarchiser vainement les douleurs.
Selon D’ de Kabal, l’érectocentrisme de nos relations sexuelles est la clé de voûte du problème. C’est en envisageant la sexualité par le prisme de la pénétration que s’établit l’injonction à l’érection et donc à la virilité. Mais c’est aussi à cause du caractère pénétratif important dans la définition juridique de l’acte, qu’est refusé à la plupart des hommes, le statut de victime. D’ de Kabal affronte le regard de la société en acceptant d’analyser sa douleur pour qu’elle puisse enfin être reconnue. Et en ce sens, c’est un livre aussi nécessaire pour le lecteur que pour D’ de Kabal lui-même. Mais ces considérations se transforment parfois en un cri de douleur que l’auteur semble avoir besoin d’exprimer. Comme la pensée, Ma honte n’a pas de structure. D’ de Kabal écrit un texte émancipateur qui ne se soucie pas toujours du confort du lecteur, en s’autorisant notamment les répétitions. Néanmoins, ce rejet des normes littéraires est cohérent par rapport à la singularité du texte. D’abord, Ma honte est pensée comme une œuvre hybride – mi-littéraire, mi-musical – accompagnée d’une playlist youtube. Et surtout, Ma honte n’a pas pour vocation de théoriser, mais plutôt d’ouvrir doucement, et sur un ton très personnel, une porte encore cadenassée.