D’après Aristophane. Mise en scène de Thierry Debroux. Avec Béatrix Ferauge, Margaux Frichet, Océa Gonel, Charlotte De Halleux, Noémie Maton, Tiphanie Lefrançois, Alex Lobo, Guy Pion, Emma Seine, Anouchka Vingtier. Du 8 septembre au 14 octobre 2023 au Théâtre Royal du Parc.
Lysitrata, une citoyenne athénienne, arrive à convaincre un groupe de femmes d’entamer une grève de rapports sexuels avec leur époux afin de stopper la guerre qui oppose Athènes et Sparte. A travers cet acte, elles entendent faire triompher la paix et surtout faire entendre leurs voix. Au Théâtre Royal du Parc, c’est une réadaptation de ce classique d’Aristophane qui nous ait proposé.
Cette pièce a été écrite en 411 av. J.-C., elle était à l’origine une comédie légère caractérisée par des jeux de mots vulgaires et des néologismes salaces. Ce vendredi, lors de la première, le petit collectif de femmes présent sur scène nous a proposé une version différente de l’intention initiale de son auteur.
Une scénographie pharaonique
Ce sont bien les femmes qui sont au cœur de ce récit ou plutôt leurs conditions. Nous sentons une volonté de réflexion sur leurs places, leurs voix, leur libre arbitre mais également leurs capacités de révoltes et d’opinions. Le projet était ambitieux et la scénographie à elle seule en témoigne.
Tous les moyens ont été déployés pour donner une dimension presque d’opulence visuelle à cette œuvre. Créations vidéo, travail parfait sur les lumières, décor imposant avec des projections diverses, des changements de costumes très réguliers, on ne sait où admirer. Le résultat est excessivement travaillé tant dans l’esthétisme que dans la recherche graphique. On constate qu’il y a énormément de moyens derrière cette réadaptation, des conditions que l’on sait assez rare sur la scène bruxelloise. Tout respire l’opulence. Le décor, qui s’éveille, à lui seul, suffit à nous transporter ailleurs.
Le cœur du récit
Avec une telle opulence visuelle, il était évident que nos attentes seraient tout aussi hautes sur la richesse et la qualité du propos. Et malheureusement, ce Lysitrata n’a pas été là où on aurait voulu le voir. Bien que les valeurs défendues soient clairement identifiables et qu’il était ici question de sororité, de solidarité et même de féminin sacré. Un trend presque endémique sur les réseaux sociaux. Nous n’avons pas été embarqué dans le vaisseau de l’émotion.
Il nous a manqué un fil rouge identifiable, une prise de position. Toutes ces femmes s’étaient inscrites dans une volonté de choix, de prise de conscience et de prise de pouvoir. Mais à l’issue de leur combat, qu’en était-il de ces fameux idéaux ? Qu’en ont-elles fait ? L’imago de la femme incarnée par Lysistrata ne s’émancipe pas. Bien qu’ayant été dans la révolte, le putsch étant avorté de manière violente, cette dernière retourne à sa vie de femme au foyer, presque soulagée de ne pas avoir provoqué un courroux plus grand de la part de son époux. Il finit par lui pardonner son « écart de conduite », lui avoue dans une lettre qu’il l’a comprise et lui confie que ses filles sont fières d’elle. Cet happy end prudent, presque prévisible, nous a semblé desservir le propos.
De quoi était-il question exactement ? Si l’on veut parler d’émancipation, il n’est pas question d’être timide. Après tout, les Suffragettes n’ont certainement pas acquis le droit de vote en toussotant un peu fort lors d’un brunch dans la Haute Société.
Ensuite, nous nous intéresserons aux autres personnages de ce récit, à savoir les femmes qui entourent Lysistrata. Ici encore, nous pouvons déplorer qu’elles n’aient été que des versions caricaturales de femmes. Tout d’abord, lorsqu’elles ont été informées du plan de Lysistrata, ces dernières se sont outrées. Premièrement parce qu’elles aiment leurs maris, et ensuite parce qu’elles aiment le sexe. Encore une fois, pas de pudibonderie mais une question de pertinence de propos. L’époque a volontairement été conservé, nous sommes dans une version antique de Lysistrata. Aussi n’est-il pas un peu romancé la condition féminine, à l’heure où les mariages forcés se pratiquent encore dans le monde, que d’imaginer qu’en 411 av. J.-C., les femmes étaient transit d’amour pour leurs maris qu’elles n’avaient certainement pas choisis ? Ces dernières semblent en plus tout à fait s’accommoder de leurs asservissements domestiques puisqu’elles regagnent sans lutter leur foyer heureux même si leurs époux ont transpercé plusieurs de leurs compagnes d’infortune dans la bataille. Nous passons également la partie qui consiste à dépeindre la seule femme non mariée comme une nymphomane lubrique sans foi, ni vertus, couchant avec autant de fils, maris et grands-pères possibles.
Aristophane avait à l’époque écrit cette comédie instituant que la seule révolte de femmes possible ne pouvait se passer qu’entre leurs cuisses. Cette réadaptation a certainement voulu prendre le contrepied et le pouvoir d’une certaine manière mais la cible a été ratée. Cette pièce qui se drape de quelques étoffes au doux reflet de féminisme n’en est tout simplement pas. Parce que la femme n’existe qu’à travers le prisme des hommes, et que toutes les batailles au glaive menée sur scène ce soir-là n’équivaut la puissance d’un texte au service d’une cause. Celle qui consiste à nous considérer comme des êtres égaux, ni plus vertueux ni plus braves mais certainement pas plus naïfs ou oisifs. Aucun des personnages féminins présents sur scène n’existaient pour elles-mêmes, aucune n’a été dépeint dans son intégrité et son tourment le plus fondamental. Elles aspirent chacune à devenir l’équivalent d’un homme… Quel mauvais angle de vue… Le propos n’aurait jamais dû être de devenir l’équivalent d’un pouvoir déjà connu mais d’en incarner un nouveau dans un monde différent.