Conception, mise en situation et chorégraphie Zora Snake
Musique et instrument live Maddly Mendy Sylvia
Du 11 février au 14 février 2025
Au Théâtre National
Nous sommes dans le hall du Théâtre National. On s’assied, sur les marches, par terre. Certaines personnes restent debout. Une musique se fait entendre, de la flûte traversière. Une femme, dans les hauteurs, jette sur l’assemblée quelques notes avant de descendre par l’escalier nous rejoindre. Au pied des marches, un petit tapis, une bouteille de vin, des grigris. Les portes du théâtre s’ouvrent : trois hommes en portent un autre, costumé, peinturluré de doré. Sur sa tête, un masque avec écrit dessus : objet volé, en anglais.
Les porteurs s’en vont. L’homme masqué reste seul, immobile, sur une surface carrée, un cube, un autel. Lentement, il se mettra à bouger, à revivre, comme un objet confisqué, volé et condamné à rester derrière une vitre d’un musée occidental, mort. L’homme revit, se secoue et par ces secousses, fait résonner le bruit d’un rituel, un rituel où l’objet a toute sa place et fait partie prenante de l’histoire. Des commentaires en anglais aiguisent nos idées, Macron évoque en français un plan pour rendre le patrimoine volé à leurs propriétaires africains, le soleil à ces objets emmurés.
L’homme se meut davantage, retire le masque, s’approche de nous, dans un silence palpable. Il s’approche et élit une personne, une femme, blanche, qu’il fera asseoir sur ce cube où « l’objet » était « exposé ». Soudain, il se sert d’un drapeau belge pour s’étouffer, physiquement, il se roule par terre, s’auto-asphyxiant. L’homme se relève, passe la bouteille de vin de main en main, de bouche en bouche. Il en boit encore une lapée, quand la musique éclate. Un autre homme, d’origine africaine lui aussi, comme la musicienne qui a lancé le spectacle, lancent le rythme et les percussions. Le protagoniste, comme un serpent sortant de sa mue, disparaît derrière son corps, centre de tous les regards. De son dos nus, on perçoit presque chaque détail, tous les muscles, les os, qu’il bouge de manière méticuleuse, appliquée, comme si ce corps était flexible à l’envie, incassable. Il pousse des cris, se roule par terre, et nous pousse lentement à le suivre, dans la petite salle du Théâtre National.
Nous sommes invité.e.s à nous asseoir par terre, sur des fins coussins, directement sur le plateau, ou sur les sièges, aux premiers rangs. Les deux hommes et la femme sont là, musicalement, corporellement. La pièce est plongée dans le noir. Le rituel continuera. Les notions d’espace et de temps se mettront à fondre comme la cire de la bougie que l’homme-serpent s’appliquera sur sa peau nue, se brûlant sans mal. Le temps est envoûtant, adéquat. 40 minutes, sur la fiche promotionnelle. L’homme se retrouvera en slip rouge, continuant sa mue, sortant sa langue de serpent, crachant du papier malaxé longuement entre ses joues. Les ressources seront partagées, la cérémonie collective. La femme échangera, comme l’homme avant elle, un peu de sel, et d’autres personnes offriront du terreau, le terreau qui servira à ensevelir cet homme servile, volontaire, des fleurs à la main (Saint-Valentin oblige ?), enterrant le drapeau belge, foulant au sol les étoiles européennes. En apnée, nous le regardons enfui sous des kilos de terre, enterré vivant.
Zora Snake, par cet Opéra du villageois, délivre de nombreux symboles et moments forts, axés sur le corps, son corps d’athlète et de danseur, symboles que le public peut décider ou non de convertir en réponses, ou tentatives de réponses, en lisant l’intention artistique de l’artiste ou des entretiens avec la presse. C’est une tentative de transposition d’un rituel africain, camerounais plus précisément, qui permet de faire vivre les objets poussiéreux du musée, les objets pris par les colons pour exciter le désir d’exotisme des capitales européennes. C’est une expérience de musée vivant qui remue, d’être humain qui mue, se métamorphose, quitte son ancienne peau pour mieux se retrouver, avant de mourir à nouveau, sous la terre et le travail forcé, avec la bénédiction des anciens et anciennes.