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    L’Oeuvre au noir au Théâtre des Martyrs

    D’après le roman de Marguerite Yourcenar, adaptation et mise en scène de Christine Delmotte, avec Stéphanie Blanchoud, Serge Demoulin, Soumaya Hallak, Nathan Michel, Dominique Rongvaux, Stéphanie Van Vyve

    Du 14 janvier au 14 février 2015 à 20h15 au Théâtre de la Place des Martyrs

    Zénon humaniste et libre penseur, scientifique et hérétique parcourt les chemins du XVIème siècle. Pourchassé par l’Inquisition, se réfugie à Bruges jusqu’à connaître une fin tragique qui plânait au-dessus de lui depuis le début de la pièce.

    Il est difficile de s’attaquer aux monuments de la littérature. Les grands romans ne font pas nécessairement de grandes pièces. Quand bien même, respecter le texte et le manipuler, l’habiller tout en en gardant l’esprit mais suffisamment pour qu’il se transforme est une gageure qui demande d’autant plus de doigté que l’oeuvre est magistrale. Dans le cas de L’Oeuvre au noir, Christine Delmotte s’attaque courageusement à un texte qui pourrait vite s’avérer ingrat pour la scène et les comédiens. Elle suit pour celà deux lignes contraires qui, bien qu’elles soient intelligentes, ne se rejoignent pas.

    La première ligne est celle de l’interprétation intellectuelle du texte. La mise en scène utilise des figures de style qui sont autant de symboles et de clés de lecture. Un morceau de mur suspendu signifie une prison mentale liée à l’étroitesse d’esprit d’un XVIème siècle en proie à ses démons religieux et scientifiques. Ce même morceau de mur porte également en lui le dynamitage que lui applique Zénon.

    Cette interprétation passe aussi par une mise en scène se basant sur la métonymie et une certaine poétique. Des chaussures jetées par terre sont autant de sujets qui se pressent à la Cour. Des robes d’époque suspendues à une tringle sont autant de nobles. La dimension poétique est également présente dans la figuration: un lancer de feuilles qui tombe sur les épaules d’un comédien représente une averse qui s’abat sur Zénon. Ces belles trouvailles de mise en scène rattachent le texte à sa dimension littéraire.

    Cette intellectualisation du texte est le plus grand écueil sur lequel vient s’échouer la pièce. Un texte projeté au début installe que le sacré et la foi viennent par la répétition du nom. Les fidèles psalmodient, répètent le nom de Dieu et ce dernier finit par exister. Yourcenar répète alors le nom de Zénon pour le rendre réel. Delmotte la prend au mot et éclate le personnage en 6 interprètes pour le faire exister et le rendre réel. Malheureusement, en éclatant le personnage, elle affaiblit le texte, le rendant ainsi alambiqué et de réception difficile.

    La seconde ligne tient dans la conscience du fait que, justement, le texte est dense. Adapter un roman risque de le rendre verbeux sur scène. Il est donc nécessaire de le rendre organique par une mise en scène qui permet aux acteurs d’incarner et pas seulement de réciter. Delmotte l’a bien compris et met à contribution des choix de mises en scène intéressants qui favorisent la sensation. Le plus bel exemple en est le passage par le chant et le choix d’intégrer la chanteuse lyrique Soumaya Hallak dans la troupe. Ses interventions, insufflant la vie au texte, constituent les plus beaux moments de la pièce.

    Cette bouffée d’air frais contrebalance le trop-plein intellectuel par des instants de sensation pure, face à une interprétation – portée par de bons acteurs au demeurant – qui sur-dramatise le texte en l’emphasant trop souvent à outrance.

    Malgré une mise en scène intelligente, une bonne distribution et un final scénographiquement magnifique, Christine Delmotte ne parvient pas à se détacher du texte pour en créer une oeuvre théâtrale. Les amoureux de Yourcenar se laisseront néanmoins bercer par la beauté du texte.

    Mathieu Pereira
    Mathieu Pereira
    Journaliste
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