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    L’institutrice de Nadav Lapid

    l institutrice affiche

    L’institutrice

    de Nadav Lapid

    Drame

    Avec Sarit Larry, Avi Shnaidman, Lior Raz, Yehezkel Lazarov, Avishag Kahalani

    Présenté à Bozar le 10 janvier 2015

    L’avant-première belge de L’institutrice se déroulait samedi dernier à Bozar en présence du réalisateur israélien Nadav Lapid. Une femme s’exclame, à l’issue de la projection : « Votre film n’est pas un film facile ». Après quelques instants, elle poursuit: « Mais je ne pense pas que le cinéma doive l’être. À qui, à quoi servirait un film facile ?»

    L’extraordinaire, dans cette histoire d’institutrice qui prend sous son aile un gamin affecté d’un don poétique hors-du-commun, ce n’est pas Yoav, l’enfant-poète génial, c’est elle, le funambule sur le tranchant de la lame. Férue de poésie, Nira, cheveux grisonnants, s’attache à l’enfant et se l’approprie comme une mère, comme une amante.

    Nadav Lapid, orfèvre, se sert du prétexte poétique pour travailler au corps un personnage de femme fragile. Institutrice, épouse, mère, séductrice, mentor, apprentie-poète, manipulatrice, elle s’attribue d’abord les dons de l’enfant comme d’un appât : un poète raté la désire soudain dans une scène où il peine à se déshabiller. Nira, duchesse, laisse patauger l’homme et semble se venger d’une insipide existence en ne portant aucun secours à l’objet de son désir.

    Nira tentera de couronner l’enfant de gloire dans un de ces lieux où quelques espoirs, quelques faux-littérateurs se prennent au jeu de la lecture à voix-haute. Yoav lit ses textes. On lui lance des friandises qu’il ramasse avec délectation. Nira, obsessionnelle, s’acharne à croire que l’enfant-génie est inadaptable au monde ultra-connecté peu soucieux du sort des poètes, qu’il se fera piétiner, humilier, massacrer. Or, l’enfant semble bien ancré dans le monde tangible, qu’il aime jusqu’à le crier, à le courir, à le chanter, tandis que l’institutrice tente, corps et âme, d’échapper à sa propre réalité.

    Dès lors, surgit la question suivante : qui de l’artiste, du cinéaste, du peintre, du poète ou de l’homme pressé, anxieux, moderne, supporte le mieux le réel ? Le rêveur ou le rationnel ? Tout porte à croire, dans le film de Nadav Lapid, que celui qui crée n’est pas le moins bien loti.

    L’institutrice tombe amoureuse de son jeune élève. De quel amour s’agit-il ? Maternel ? Compassionnel ? Passionnel ? Qui aime-t-elle du poète ou du môme ? Nira nous rend mal à l’aise dans sa folie – elle nous éveille à l’introspection de nos propres déséquilibres. Qui sommes-nous pour la condamner ?

    La direction des enfants est spectaculaire. Nous savons ce que cela demande de patience, d’énergie, de tact, d’humilité. L’esthète contestera les gros plans en contre-plongée, les regards caméras, les coups physiques portés à celle-ci, les plans-séquences ressentis, les plans de coupe superflus, mais qu’importe : Nadav Lapid est un cinéaste qui interroge le spectateur par des formes incongrues.

    Certes, L’institutrice n’est pas un film facile. Mais à qui, à quoi servirait un film facile ?

    D. T.
    D. T.
    Journaliste du Suricate Magazine

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