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    [L’instant VHS] Arrête ou ma mère va tirer de Roger Spottiswoode

    Il est toujours là. Le Grand, le Beau, l’Excellentissime, L’instant VHS ! Il est même essentiel en cette période d’emmerdement permanent chez soi. C’est toujours le bonheur de reparler d’un film plus ancien, souvent culte, parfois oublié mais toujours intéressant à revoir. Si vous êtes vieux et que le dernier film que vous avez accepté de voir est Cléopâtre avec Elisabeth Taylor, si vous êtes trop jeunes et que pour vous le cinéma a commencé avec Harry Potter et Twilight, si vous êtes de la même génération que l’auteur et que vous souhaitez revoir ces films cultes qu’on oublie parfois, cette rubrique est faite pour vous. Sinon, vous pouvez toujours vous amusez à compter le nombre de pâtes ou de feuilles de PQ que vous possédez.

    Comme tout acteur à la réputation bien établie, la filmographie de Sylvester Stallone ne s’est pas constituée sans écueils et celle-ci, aujourd’hui riche d’une soixantaine de films, comporte quelques ratés. On pensera notamment à New York Cowboy (1984), douloureuse réinterprétation du Pygmalion de G. B. Shaw à la sauce country, à L’embrouille est dans le sac (1991), tentative maladroite de porter à l’écran l’Oscar de Louis de Funès, à Spy Kids 3 : Mission 3D (2003) ou encore au plus récent Match retour (2013) dans lequel Stallone rencontrait De Niro pour un combat de boxe opposant Rocky au Raging Bull de Scorcese.

    Pourtant, lorsqu’en 2006 on interrogeait l’acteur sur son pire film, sa réponse fut :

    « De très loin, le pire film que j’ai fait… peut-être le pire film de tout le système solaire, ce qui inclut des productions extra-terrestres que nous n’avons jamais vues… un platode pourrait écrire un meilleur script que Arrête ou ma mère va tirer. Dans certains pays – en Chine je pense – diffuser Arrête ou ma mère va tirer une fois par semaine à la télévision a fait chuter le taux de natalité à zéro. S’ils le diffusaient deux fois par semaine, je pense que dans vingt ans, la Chine n’existerait plus ».

    Quatre ans plus tard, en 2010, il déclarait encore au Toronto Sun :

    « J’ai fait plusieurs films horribles. Arrête ou ma mère va tirer est le pire de tous. Si vous voulez faire avouer un meurtre à quelqu’un, faites-le simplement s’asseoir devant ce film. Il vous dira tout ce que vous voulez savoir en quinze minutes ».

    Arrête ou ma mère va tirer souffre en effet d’une réputation désastreuse, avec un score de 4% sur Rotten Tomatoes. Pourtant, ce film bénéficiant d’un budget de 45 000 000 $ en a rapporté exactement 70 611 210 $ au box-office – dont seulement 28 400 000 $ sur le territoire national, ce qui doit probablement concourir à cette horrible réputation auprès du public américain.

    Avec le temps, la critique du film est presque devenue un jeu. Lors de son passage au Saturday Night Live en 1997, Sly s’est livré à l’autodérision en apparaissant dans un sketch passant en revue certains des grands échecs de sa carrière. Au cours de cette séquence où l’acteur porte secours à un couple accidenté, il aura droit à des commentaires cinglants du style : « Je sais pas ce qui est pire : avoir eu cet accident ou être aidé par la star de Judge Dredd ! » ou encore « – Merci vous êtes très gentil – Pas si gentil que ça, t’as vu Cobra ? ».

    New York Cowboy [Rhinestone], Judge Dredd, Cobra, Staying Alive, La Taverne de l’enfer [Paradise Alley] et Le bras de fer [Over the top] passeront ainsi à la moulinette du SNL. Au moment de pousser son dernier souffle, le conducteur de la voiture s’écrie « Stop… stop… stop… stop… Stop… or my mom… will shoot… sucked ! » que l’ambulancier incarné par Will Ferrell demandera à Stallone de répéter. Ce que la star fera en grommelant…

    http://www.metacafe.com/watch/5148538/stallone_on_snl_1997_car_accident_skit/

    De ce fait, il semble qu’avec le temps, cette réputation de carnage cinématographique se soit imposée, au point que nombreux sont ceux qui critiquent aujourd’hui le film sans peut-être même l’avoir vu.

    Mais Arrête ou ma mère va tirer est-il vraiment un mauvais film ?

    Et bien non ! Arrête ou ma mère va tirer est un excellent divertissement. Très loin d’être un chef d’œuvre, certes, mais un super film quand même !

    Avant tout, il faut honorer Sylvester Stallone qui, malgré son étiquette de gros dur décérébré, a toujours cherché à diversifier son jeu d’acteur et à se lancer dans des projets osés. Qu’il s’agisse du polar avec Les faucons de la nuit, un film assez proche de ce que Belmondo avait pu faire chez nous dans Peur sur la ville d’Henri Verneuil ; du huis-clos anxiogène avec Compte à rebours mortel ; de la dystopie avec La course à la mort de l’an 2000 ; du film musical avec New York Cowboy ou du vaudeville avec L’embrouille est dans le sac, Stallone a souvent fui la facilité. Sans parler du rôle de composition qu’il offrit en 1996 avec Cop Land ou du brillant concept Expendables qui ramena sur le devant de la scène les dinosaures du cinéma d’action typé années 80. Quant à Rambo, sous couvert d’un divertissement d’action, il s’agit d’une critique de la société américaine qui géra de manière désastreuse le retour des vétérans de la guerre du Vietnam. Enfin, Rocky est une pure personnification du rêve américain. Leurs suites, c’est autre chose…

    Bref, Stallone est un grand acteur qui ose la prise de risque et a toujours cherché à livrer de belles performances !

    Arrête ou ma mère va tirer contribue à cette tentative pour l’acteur de casser son image. À cette époque, il venait de tourner tour à tour dans Rambo ii, Rocky iv, Cobra, Le bras de fer, Haute sécurité, Tango et Cash et Rocky v. Il lui fallait donc viser au recyclage s’il ne voulait pas se voir définitivement catalogué et il tourna ainsi à l’aube des années 90 dans la pantalonnade L’embrouille est dans le sac et dans Arrête ou ma mère va tirer. Il reviendra cependant vite à l’action avec Cliffhanger et Demolition Man

    Notons qu’à l’époque, son grand rival, Arnold Schwarzenegger, connaissait le succès dans un répertoire comique avec Jumeaux (1988), Un flic à la maternelle (1990) puis encore plus tard avec l’excellent Last Action Hero (1993). Sly devait donc sauter dans ce train s’il ne voulait pas se voir supplanté par Schwarzie et Arrête ou ma mère va tirer était l’occasion rêvée. Pour la petite anecdote, Stallone a affirmé il y a deux ans avoir été piégé par Schwarzenegger pour faire ce film. Nous y reviendrons…

    Avant tout, Arrête ou ma mère va tirer est l’ultime Buddy Movie ! Vous croyiez que Turner et Hooch avait tout révolutionné en offrant un chien pour partenaire à Tom Hanks ? Que Jackie Chan et Chris Tucker forment le tandem parfait ? Qu’il n’y a pas plus sexy que Penelope Cruz et Salma Hayek dans Bandidas ? Oubliez tout ça : Sylvester Stallone et la septuagénaire Estelle Getty, ça c’est un tandem de choc !

    Le canevas du film est usité : un flic dur à cuire fait régner l’ordre dans sa ville mais se verra vite confronté à un problème qui le dépasse. Sauf qu’ici, au lieu de lui opposer un méchant mafieux russe de deux-cent kilos, on le confronte à sa minuscule (1m49) maman bigleuse. Et l’air de rien, c’est un principe original qui consiste à opposer à un personnage de fiction une réalité sur laquelle il n’a aucun contrôle et dont il ne peut pas se débarrasser à coups de revolver. C’est finalement ce que fera John McTiernan l’année suivante avec son Last Action Hero qui met en scène un personnage bad-ass confronté au monde réel dans lequel on se fait mal quand on brise une vitre avec le poing. Les deux films ne sont bien évidemment pas comparables tant du point de vue du récit que de la qualité, mais tout de même.

    Au niveau des acteurs, Stallone se prête parfaitement au jeu et, quelles que puissent être les critiques qu’il porta sur le film des années plus tard, il s’investit pleinement dans son rôle. Il faut cependant reconnaître que le doublage français joue en sa faveur : son « M’man » a quelque chose de culte lorsqu’il est prononcé par Alain Dorval, alors qu’il prête juste à sourire dans la version originale. Toujours est-il que Sly semble à sa place dans ce film et assure ses scènes avec un plaisir non dissimulé.

    Estelle Getty campe quant à elle à la perfection une mamy gâteau et la complicité entre les deux acteurs est bien visible à l’écran. L’actrice n’est pas à sa place dans un film d’action et c’est finalement ça qui crée toute la saveur des choses. Mais il faut bien évidemment pour ça prendre le tout au second degré : oui, les personnages sont poussés à l’extrême, les méchants caricaturaux et les dénouements d’une facilité monstre, mais c’est au fond ce qui fait le sel d’un tel film. Lorsque l’on regarde Jumeaux, on s’attend à voir Schwarzenegger assurer dans les scènes d’action sans une égratignure et Danny De Vito courir derrière avec ses petites jambes pour achever les méchants. Le principe est le même ici et Estelle Getty assume donc parfaitement le rôle qui est le sien. Il est bien dommage qu’on lui ait attribué le pire second rôle féminin aux Golden Raspberry Awards de 1992 !

    Le film regorge ainsi de situations cocasses : Stallone monte sur une corniche pour sauver un jeune homme qui veut en finir et celui-ci finit rapidement par descendre en disant : « Il a plus de problèmes que moi ». Ou encore, le simple fait que Tutti nettoie dans l’évier le revolver de son fils policier puis lui achète un pistolet mitrailleur à un biker obèse au marché noir pour se faire pardonner… La chose est tellement improbable qu’elle en devient drôle.

    Au fond, qui n’a jamais été gêné par sa mère et ne pourrait pas se reconnaître dans ce personnage ? Et aussi ridicule soit-elle, la séquence où Sly finit en couche-culotte est mythique !

    Au milieu de ces situations cocasses, le film de Roger Spottiswoode regorge de répliques hilarantes du style : « – Je reviendrai ! – Môman, les flics disent pas ‘je reviendrai’, c’est Terminator qui dit ‘je reviendrai’… ». Sans parler de : « Mon fils et moi on pense que vous êtes un enfoiré ! », de « Beau travail ! On se croit plus fort que mon fils hein ?! Mais on rêve minable gros lard ! » ou de « Je reviendrai te chercher bibendum ».

    En somme, Arrête ou ma mère va tirer est un film du dimanche après-midi : un divertissement original et sans prise de tête, remplis d’une énergie positive, de rebondissements amusants, de quiproquos et d’échanges hilarants dans lesquels beaucoup se reconnaitront. Et visionner ce film n’a absolument rien de pénible. Alors, une bonne fois pour toute, cessons de vivre dans l’ombre du critique Roger Ebert qui déclarait à la sortie du long métrage qu’il s’agissait d’un film « dénué de la moindre qualité rédemptrice au point que le spectateur en vient à fixer l’écran dans l’effarement le plus total ». S’il nous lit, disons-lui donc à la suite de Tutti Bomowski (Estelle Getty) : « Monsieur Ebert, Le Suricate et moi, on pense que vous êtes un enfoiré ! »

    Pour apprendre quelque chose d’intéressant : en 2014, lors de la promotion d’Expendables 3, Sylvester Stallone déclara au magazine Page Six qu’il avait été piégé par Arnold Schwarzenegger, son rival de l’époque, pour jouer dans Arrête ou ma mère va tirer. Il a ainsi déclaré : « J’avais entendu qu’Arnold voulait faire ce film et j’ai donc cherché à obtenir le contrat. Il m’a bien eu ! Il a toujours été plus malin que moi ». Depuis, les deux anciens rivaux sont devenus bons amis et Schwarzie a joué dans Junior (1994) et Batman & Robin (1997)… Égalité !

    Juste pour ne pas mourir idiot : Estelle Getty n’a commencé sa carrière cinématographique qu’à l’âge de 55 ans. L’actrice désirait en effet se consacrer à sa famille. Elle apparut pour la première fois devant les caméras en 1978 puis rencontra le succès quatre ans plus tard aux côtés de Dustin Hoffman dans le film Tootsie. Après un passage remarqué dans Mask de Peter Bogdanovich (1985), elle obtint le rôle de Sophia Petrillo dans la série Les craquantes [The Golden Girls] (1985 à 1992) qui lui valut un Emmy Award en 1988. On la verra encore jouer Grandma Estelle dans Stuart Little (2000) avant de mettre un terme à sa carrière en 2001. Elle décéda le 22 juillet 2008.

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