« L’honorable collectionneur » : Lize Spit, redoutable romancière

Titre : L’honorable collectionneur
Autrice : Lize Spit
Editions : Actes Sud
Date de parution : 1er mai 2024
Genre :  Roman

Rien ne change, si ce n’est le format. Avec l’inoubliable Débâcle qui avait noirci le cœur de plus d’une centaine de milliers de Flamands et son cadet Je ne suis pas là, Lize Spit nous avait habitué à plus volumineux. Si son petit dernier – et c’est le cas de le dire – L’honorable collectionneur est si court, c’est parce qu’il lui a été commandé dans le cadre du programme de la boekenweek, qui offre aux Hollandais dont la dépenses en livre excède vingt euros, une nouvelle d’une centaine de pages écrite pour l’occasion. De quoi ravir les lecteurs ! Ou bien les déprimer… L’autrice flamande ne fait pas dans la dentelle. Son mot d’ordre, c’est la tension qu’elle cultive avec adresse. Et ça, tous les lecteurs de Débâcle le savent… à leur dépens.

Mais à côté des précédents, L’honorable collectionneur est une croisière. Même si, pour notre plus grand bonheur, Lize Spit ne s’affranchit pas des qualités qui ont fait son succès. Encore une fois, il est question d’enfants forcés de grandir trop vite. Après un périple semé de chagrins, la famille de Tristan a atterri dans un petit village flamand, conçu dans le macadam et l’ennui. Son statut de réfugié kosovar suscite l’empathie. Sur le palier de sa maison, les montagnes de vieilles frusques offertes par les voisins s’approchent tous les jours un peu plus des nuages. Il a même reçu le privilège de pouvoir discuter, pendant les cours, avec son voisin Jimmy dont la mission est de l’accompagner dans l’apprentissage. Les deux garçons se rapprochent tellement que Jimmy envisage d’offrir à Tristan sa première collection de flippos, des vignettes qu’on trouve dans les paquets de chips. Et ça, ce n’est pas rien pour l’honorable collectionneur qu’il est. Mais quand la famille de Tristan reçoit l’ordre de quitter le territoire, Jimmy est mis à contribution dans un plan qui pourrait tout changer.

Même sur cent pages, Lize Spit nous tient en haleine. Le suspens est une échelle dont chaque palier nous donne un peu plus le vertige. Cela pourrait-il bien finir ? Rien n’est moins sûr. La situation de Tristan est trop précaire. Leur amitié est trop fragile. Il y a un déséquilibre dans les préoccupations des deux garçons que Lize Spit parvient à communiquer sans avoir à l’écrire. Un monde sépare l’enfant qui doit devenir adulte trop tôt de celui qui rêve d’en être un. Et tout ça dans les paysages impuissants de notre plat pays. Lize Spit est belge et fière de l’être. Son mariage littéraire avec Thomas Gunzig, en 2021, avait d’ailleurs témoigné d’une volonté de rassembler par la littérature les communautés linguistiques de notre royaume. Mais cette fois, ce n’est pas seulement le pays, c’est une époque toute entière qui est mise à l’honneur quand elle parle avec force détails de ses flippos qui ont rendu fous une génération de marmots. Qu’on aime ou pas, s’il y a bien une chose qu’on ne peut lui enlever c’est, d’ailleurs, son statut d’experte en la matière.