L’Histoire de Souleymane
Réalisateur : Boris Lojkine
Genre : Drame
Acteurs et actrices : Abou Sangare, Alpha Oumar Sow, Nina Meurisse
Nationalité : France
Date de sortie : 18 décembre 2024
Une épopée de 48h pour Souleymane, le décor d’un triste quotidien pour nous autres. Sous sa veste de pluie et son bonnet, sur son vélo, entre les restaurants et les clients, Souleymane nous emmène dans cette course effrénée, à la recherche d’un peu de reconnaissance. Alors qu’il a encore le voyage depuis la Guinée qui lui colle à la peau, ses proches attendant le prix de cette épreuve, il répète mécaniquement le discours bidon qu’il sortira aux services de l’immigration.
Un film qu’on regarde en apnée
Ce film est une véritable introspection. Il n’est pas question de découvrir en détails les rues de Paris, le sujet du film est raccord au titre, il s’agit de l’histoire de Souleymane. Bien qu’on comprend que ce personnage est caractéristique d’une majorité déconcertante de livreurs de plats à emporter, le film se concentre sur le point de vue du héros. 48h qui paraissent toute une vie, et ce sentiment plus fort que tout : le quotidien de Souleymane nous oppresse. La caméra à l’épaule et les gros plans quasi constants ne nous laissent pas le choix, on partage tout avec lui. On découvre alors un héros de la détermination, d’une grande force mentale et d’une sensibilité discrète. Même les meilleurs thrillers ne nous gardent pas en apnée aussi longtemps. On respire au rythme de Souleymane qui se relève de son vélo après une chute, qui court après le dernier bus le ramenant aux dortoirs des immigrés à l’extérieur de la ville, qui prend un café sur le pouce pour compenser ses courtes nuits. Si on se reconnait davantage dans les clients random qui attendent leur repas, la réalité qui se cache derrière le papier kraft nous sert le cœur. Boris Lojkine, accompagné de Delphine Agut pour le scénario, a choisi de documenter un sujet si commun qu’on ressort de la séance inévitablement troublé, prêt à reconsidérer cette petite part du monde qui nous entoure.
Un film inspiré de faits réels
Boris Lojkine n’est pas à son premier film marquant. Connu pour la qualité documentaire de ses productions, il avait déjà reçu des distinctions pour Hope (2014) et Camille (2019). Pour L’Histoire de Souleymane, il reçoit le Prix du jury dans la section Un certain regard au Festival de Cannes et le Prix du meilleur acteur pour le comédien jouant le rôle titre, interprété par Abou Sangare. Cette récompense se comprend aisément, Abou Sangare nous offre une prestation sensible d’une justesse déconcertante, et pour cause, la vie de Souleymane est inspirée de la sienne. L’acteur est par ailleurs toujours dans l’attente de régulation de papiers à l’heure actuelle (pour en apprendre plus sur Abou Sangare, voir l’interview avec Konbini). Bien que les événements se concentrent sur un sujet en particulier, il est important de considérer le film comme le tableau d’une réalité plus large. Le débat mené par la Maison des livreurs et le Moc Bruxelles, proposé par le cinéma Palace, dans le cadre du Festival Cinémamed, a malheureusement confirmé que le cas Souleymane n’est pas isolé. Il est le représentant direct des défaillances du système capitaliste. Les invités du débat, également touchés personnellement par ces défaillances, nous expliquent que personne ne quitte son pays pour rien, au péril de sa vie, que souvent il y a une famille derrière qui attend d’être sauvée financièrement à distance. Quand on leur demande la solution, ils répondent la régulation des sans papiers, une cause à rejoindre. Ils nous parlent de politique et nous affirment que Paris ou Bruxelles, c’est la même galère ; les livreurs partagent des situations tout à fait similaires, le même quotidien ingrat. C’est le système derrière les plateformes de livraison qui posent problème, et encore, les invités critiquent le fait qu’il manque de matière dans le film par rapport au racisme généralisé envers les livreurs.
L’Histoire de Souleymane est une épopée moderne. Un film qui nous invite à ouvrir les yeux sur ce qu’on ne veut pas voir, ou ce qu’on ignore encore. Il nous permet aussi de gagner en conscience et en humanité, de nous resensibiliser avec la part d’ombre d’un système dont on est directement acteurs.