Let’s Get Lost
Réalisateur : Bruce Weber
Genre : Documentaire
Acteurs et actrices : Chet Baker, William Claxton, Russ Freeman
Nationalité : USA
Date de sortie : 1er janvier 2025
À la fin de Let’s Get Lost, Chet Baker décrit, d’un regard distant, l’expérience du documentaire comme « un rêve ». Et, en effet, le spectateur ne peut qu’être d’accord : pendant près de deux heures, Bruce Weber, célèbre photographe de mode, dresse un portrait aussi mélancolique que séduisant, réalisant un documentaire qui, bien qu’il contienne quelques vérités, se présente comme une véritable ode au père du cool jazz, Chet Baker.
Sorti en 1989, peu après la mort tragique et mystérieuse de Baker à Amsterdam, ce documentaire nommé aux Oscars résiste à l’épreuve du temps. Tourné en noir et blanc — dans le pur style de Weber —, il raconte l’histoire du musicien américain en donnant l’impression d’une icône figée dans les années cinquante. Pourtant, en 1988, à l’âge de 57 ans, Chet Baker apparaît marqué par trente années de dépendance aux drogues — en particulier à l’héroïne —, avec une voix de plus en plus rauque et un corps éprouvé. Malgré tout, il parvient encore à suivre un rythme hypnotique, bien que ralenti, comme le montre son interprétation bouleversante de Almost Blue, murmurée pour le public du Festival de Cannes.
Le documentaire, en alternant les récits de Baker, de producteurs, d’amants, de membres de sa famille et de ses enfants, avec des intermèdes musicaux et des plans presque oniriques, restitue un portrait complet mais inévitablement subjectif : Baker est un narrateur peu fiable, et les paroles de tous les témoins sont profondément influencées par leurs perceptions de sa personne. Séduisant et imprévisible, le James Dean de l’underground ne pouvait qu’incarner l’esprit du jazz : une beauté idéale pour le cinéma, mais une icône bien trop anti-héroïque pour les standards américains, adoptée uniquement par le monde des beatniks et des exclus.
Le regard raffiné et sophistiqué de Bruce Weber capture toute la complexité de Chet Baker : fils du romantisme de la West Coast, l’équivalent jazz des Beach Boys, Baker apparaît intensément érotique, enveloppé dans la fumée de ses cigarettes, assis à l’arrière d’une décapotable ou sur les plages californiennes. En même temps, il est odieux dans les récits des enfants qu’il a abandonnés et des femmes qu’il a maltraitées, et pathétique dans son besoin désespéré de méthadone pour contrôler sa dépendance. Pourtant, le spectateur ne peut s’empêcher de lui pardonner, accompagné par la voix envoûtante du chanteur de My Funny Valentine, filtrée à travers le regard intime du réalisateur.