titre : Les Mal-Aimés
auteur : Jean-Christophe Tixier
édition : Albin Michel
sortie : 27 février 2019
genre : roman noir
L’histoire nous plonge en 1884, dans la France profonde, au coeur des Cévennes. Un groupe d’enfants décharnés quitte la maison d’éducation surveillée qu’ils appellent « Le Bagne ». Ce bâtiment hideux qui fut le théâtre de leurs années de supplices et de toutes leurs souffrances (physiques et surtout psychologiques). Autrefois leurs geôliers, les paysans du village regardent silencieusement ce cortège passer sous leur yeux. Certes, maintenant que « Le Bagne » ferme ses portes, la liberté et peut-être l’espoir d’une vie meilleure s’offrent à eux. Mais ils ont comme un goût amer en voyant les paysans s’en tirer à si bon compte. Car la cruauté de ces gens a eu raison de tant de vies presques innocentes. Ces petits êtres qui gisent non loin de là sous des sépultures improvisées. Ils en sont certains, un jour, les morts reviendront se venger. Et dix-sept ans plus tard, une série d’évènements malheureux frappe le village. Troupeaux décimés, meules de foin en feu, morts, chacun accuse l’autre d’être le responsable de ces drames. Puis, la rumeur se répand peu à peu : ce sont les enfants qui reviennent, et le cauchemar ne fait que commencer !
Pour son premier roman chez Albin Michel, Jean-Christophe Tixier frappe fort, et même très fort ! Lui qui jusque-là s’était spécialisé dans la littérature jeunesse nous surprend avec un roman d’un genre très différent et clairement destiné aux adultes.
Les Mal-Aimés, c’est un livre coup de poing. Une oeuvre noire et où chaque mot renforce le réalisme dans lequel nous plonge l’auteur. Chaque ressenti de ces personnages est décrit avec tellement de détails qu’on s’identifie à la personne ou du moins, qu’on a l’impression d’être dans la même pièce. Cela nous permet de nous plonger dans son quotidien qui est en fait son calvaire. Chaque protagoniste subit sa vie et essaie malgré tout de mener une existence normale. Mais un regard vers « Le Bagne » et toutes les souffrances remontent avec chaque fois plus de vigueur.
Au-delà de son côté surnaturel, ce récit témoigne aussi du silence pesant qui a régné et qui demeure encore dans les campagnes et les maisons de correction. Car ce « Bagne » dont nous parle l’auteur a réellement existé. D’ailleurs, à chaque début de chapitre, un extrait issu d’archives décrit un des pensionnaires de ce sinistre établissement, comme pour mieux installer la proximité entre les personnages et le lecteur, davantage bouleversé à mesure qu’il parcoure le récit.
Il y a également un panel d’émotions très vives que Jean-Christophe Tixier nous fait ressentir à travers des mots extrêmement bien choisis. On passe de la tristesse au dégoût, pour terminer sur cette colère partagée avec les victimes. Une colère noire envers ces geôliers qui ne furent finalement que des lâches, incapables d’assumer leurs actes. Tous ces sévices infligés à tant de mineurs est un tabou qui persiste encore de nos jours. Car, malgré ce passif lourd et accablant, les derniers auteurs de ces actes impunis essaient souvent de minimiser la réalité en argumentant sa prescription historique. Il serait naïf de penser que ces pratiques ont cessé en 1884. Et il est difficile de savoir combien d’enfants ont ainsi souffert en silence.
Les Mal-Aimés est une oeuvre qui remue une série de non-dits, montrant du doigt celles et ceux qui se sont tus et parfois cachés derrière une apparente gentillesse, espérant que les années apporteraient l’oubli ou le pardon.