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    Les jumeaux vénitiens au Théâtre National

    De Carlo Goldoni, mise en scène de Mathias Simons, avec Emilie Jonet, Fabrice Murgia, Fabrice Schillaci, Jean-Pierre Baudson, Jean-Baptiste Szézot, Marie-Hélène Balau, Valentine Gérard, Vincent Cahay, Vincent Hennebicq, Quantin Meert

    Du 10 au 18 décembre 2014 à 20h15 au Théâtre National

    Un bourgeois déterminé à bien marier sa fille. Un prétendant qui, à défaut d’être une lumière, présente l’avantage d’être fortuné. Un frère jumeau aussi malin que désargenté. Une Colombine volubile et toute émoustillée à l’idée de rencontrer l’Arlequin promis. Durant une folle journée, quiproquos et amours contrariées s’enchaînent à Vérone sur fond de mensonges, de secrets et de pulsions inavouables. Amoureux éconduits, valets audacieux, traitres impénitents, maitres cupides,… Autant de personnages hauts en couleurs qui gravitent autour des jumeaux et qui seront victimes du mirage des deux frères.

    Certes, l’intrigue puise dans un classicisme convenu avec ses airs de Commedia dell Arte, mais le metteur en scène Mathias Simon réussit à décaper la patine du temps en transformant le joyau de Goldoni en une comédie enjouée et décalée aux contours résolument contemporains.

    Le spectacle fait d’abord preuve de modernité en bousculant les codes vestimentaires. Les coupes des costumes rappellent bien évidemment le 18ème siècle vénitien, mais les matières travaillées sont modernes et font référence aux marques actuelles de sport wear. Les costumes évoquent également le bestiaire ; ils mettent en évidence l’animal caché en chacun des personnages (avidité du porc, orgueil du coq, sinuosité du serpent…).

    Et puis, il y a aussi la distanciation avec le texte. Tout en étant drapée dans une langue classique, la pièce offre, à travers son portrait grinçant de la nature humaine, une lecture plus détachée et moderne de l’œuvre de Goldoni. Par quelques commentaires sarcastiques savamment distillés, Tonino, le jumeau rusé, se permet, ça et là, une petite mise à distance critique et provoque à tous les coups une avalanche de de rires dans la salle.

    Formidable terrain de jeu pour les acteurs, la pièce est riche en rebondissements et en personnages typés ; elle permet aux comédiens d’opérer une étude de caractère en creusant la complexité et l’ambivalence des personnages tout en posant un regard amusé sur les classes sociales. On ne peut que saluer bien bas la performance impressionnante de Fabrice Murgia (également talentueux metteur en scène, récompensé cette année d’un Lion d’argent à la Biennale de Venise) qui fait constamment le grand écart entre raffinement et truculence dans son double jeu des frères vénitiens. Sa parole, tantôt prosaïque, tantôt lyrique, est toujours teintée d’une irrévérence joyeuse ou noire selon l’identité endossée. Son jeu décontracté force l’admiration ; il fait montre d’un réel sens comique dans son interprétation des deux jumeaux. Dans son sillage, il entraîne toute la troupe qui, à grand renfort de lazzi, nous divertit et nous dévoile une peinture acide des mœurs de l’époque. Mention spéciale pour Pancrace qui, sous les traits de Vincent Cahay, excelle dans son rôle de confident fourbe.

    Autre atout majeur des jumeaux vénitiens : sa scénographie épurée et élégante. Avec son décor en trompe l’œil et son plateau miroir au sol, elle multiplie les doubles, joue avec les ombres et les reflets des comédiens, révèle des mondes cachés et des coulisses étranges. Astucieuse, elle porte magistralement la question de la métamorphose et celle des contradictions violentes qui animent la société.

    Vous l’aurez compris, Les jumeaux vénitiens, c’est un petit bijou de divertissement à ne rater sous aucun prétexte, accessible à toute la famille (à partir de 12 ans tout de même), qui mêle joyeusement les générations sur scène et qui, par ses thèmes toujours d’actualité, se joue des frontières du temps.

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