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    Les Invisibles d’Isabelle Pousseur

    © Michel Boermans

    Mise en scène de Isabelle Pousseur avec Catherine Mestoussis, Magali Pinglaut

    Du 16 septembre au 04 octobre à 20h30 au Théâtre Océan Nord
    Les mercredis à 19h30, matinée le mardi 23 septembre à 13h30 (Pas de représentation en soirée). Relâche dimanche et lundi.

    Reprise de la création du Théâtre Océan Nord de 2012 et inspiré de Quai de Ouistreham, de Florence Aubenas , Les Invisibles explore les méandres de la crise économique à travers le prisme des femmes de ménage. Entre une mise en scène jubilatoire et un jeu d’acteurs époustouflant, Isabelle Pousseur a donné aux observations d’Aubenas une véritable dimension théâtrale et la force dévastatrice d’un coup de poing.

    Suite à la crise de 2008, Florence Aubenas décide de s’infiltrer dans le monde de celles qu’on appelle poliment les techniciennes de surface avec pour seul but de décrocher un CDI. Avant d’avoir atteint son objectif, elle ne lâchera pas sa couverture. Alors que tous la mettent en garde, elle accepte un poste sur les ferrys de Ouistreham.

    Dire que le sujet de Les Invisibles reste d’actualité est un euphémisme. La précarité de l’emploi reste un des sujets ultra-sensibles de notre société actuelle et le Théâtre Océan Nord ne s’y est pas trompé en programmant à nouveau sa création. Cette pertinence dans le propos de la pièce en est le premier élément intéressant. Quiconque s’est retrouvé sur le marché de l’emploi ces dernières années comprendra ou imaginera la difficulté de l’enjeu qui régit la vie de ces femmes.

    Deuxièmement, la mise en scène est d’une intelligence incroyable. Entre lectures d’extraits, jeu théâtral, projections et danse, le spectacle a recours à tous les moyens d’expression possibles et imaginables pour illustrer son propos. La musique et les images projetées amènent, en renfort du texte une grande poésie et une émotion débordante. Mais la pièce ne se complaît pas dans une ode à la misère car il déploie également énormément d’humour et de force. Les personnages sont des soldats qui montent sur le ferry comme on part à la guerre avec, chacun à sa manière, une rage de survivre doublée d’un gilet pare-balles.

    Pousseur porte une attention toute particulière à l’utilisation du corps. Le corps humain devient tour à tour machine, robot et objet. Il est plein d’énergie et se vide, dépasse les limites de ce qu’il peut supporter pour se transformer en une enveloppe hagarde et s’électrise d’un besoin d’exister, d’exprimer. Il est l’instrument d’un balai à la chorégraphie impossible et le premier témoin de l’injustice d’un combat quotidien perdu d’avance. Même si Pousseur s’en réfère aux mots d’Aubenas pour pointer du doigt la précarité de toute une « classe ménagère », c’est bien le corps de ses comédiennes qui en est le premier révélateur.

    Pour donner vie à ces corps, Catherine Mestoussis et Magali Pinglaut déploient une énergie et une justesse remarquables. Même si parfois elles peignent à traits un peu gros les multiples personnages qu’elles incarnent, elles le font avec une honnêteté et une adresse proches de la performance, chacune à leur manière. A grands coups de portes qui claquent et de rideaux tirés, elles habitent, remplissent et modulent l’espace avec autant de rage et de volonté que leurs personnages qui raclent, essuient et désinfectent. La force et la détermination de leur jeu est la même que la force de leurs personnages. Mais elles savent aussi s’arrêter, respirer un instant dans la lumière obscure et étoilée d’une projection pour prendre du recul sur leur condition et donner à ce combat de tous les jours des allures de poème.

    Ne ratez surtout pas Les Invisibles au Théâtre Océan Nord, car vous y côtoierez l’espace d’une heure et demie l’humanité au sens brut, le courage et la beauté discrète et fière de celles qui dansent presque à récurer avec détermination et acharnement ce que nous laissons derrière nous. Elles vous feront rire, pleurer, vous révolter et vous questionner car si elles sont invisibles, elles ne passeront pas sans faire de bruit.

    Mathieu Pereira
    Mathieu Pereira
    Journaliste

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