Scénario : Charlotte Rotman
Dessin : Lison Ferné et Juliette Vaasi
Éditeur : Steinkis
Sortie : 31 octobre 2024
Genre : Documentaire
Charlotte Rotman, journaliste, a suivi durant plusieurs années l’avocate Anne Bouillon dans son combat quotidien pour défendre les femmes. Celle-ci explique en préambule avoir arrêté de défendre les hommes, même si elle conçoit bien que tout le monde ait le droit d’être défendu, pour ne se préoccuper que des femmes violentées, agressées, maltraitées physiquement et mentalement (principalement) par leurs conjoints ou leurs ex.
Les femmes ne meurent pas par hasard est une œuvre coup de poing qui passe d’un cas à un autre, anonymisés, dans le cadre de la vie professionnelle d’Anne Bouillon, qui a accepté de livrer des larges bouts de son travail, en plaidoirie ou avec ses collègues. Le contenu est au centre et la forme à son service, sans faire de chichis. Les quatre femmes qui ont collaboré pour l’ouvrage (l’avocate, la journaliste, Lison Ferné et Juliette Vaasi, illustratrices et dessinatrices) ont décidé d’aborder la violence de front, graphiquement. Ces coups mortels dessinés seront de toute façon toujours moins forts que la réelle violence de la vie de tous les jours. La bande dessinée commence donc par un féminicide d’une femme née au Mali en 1979 et tuée en 2017 à la carabine par son mari français qu’elle tentait de fuir. C’est fulgurant et déchirant, une mort abrupte et presque banale, un exemple parmi tant d’autres.
Les femmes ne meurent pas par hasard décrit des femmes qui n’en peuvent plus et sont secourues par l’avocate Anne Bouillon, superhéroïne moderne, qui connaît la loi comme sa poche et sa jurisprudence. Pour chaque vie passée en revue, l’histoire est narrée ensuite sous forme de dessin qui n’exclut donc pas la brutalité, un avertissement quant au contenu de la BD est d’ailleurs indiqué en début d’ouvrage. Il ne s’agit pourtant pas de faire du racolage par la violence mais plutôt de montrer ce que la société ne veut pas voir, ni défendre, alors qu’on sait qu’en 2022, en France, 118 femmes ont été victimes de féminicides et que dans les dossiers de violences sexuelles, 80% des plaintes sont classées sans suite, comme il est indiqué à la fin de l’album.
La bande dessinée est particulièrement glaçante quand elle est décrit à quel point la violence est l’apanage d’hommes tout à fait ordinaires, comme on peut le voir puissance mille lors du procès actuel à Mazan (ou dans la plupart des viols). Ainsi, ce cas immonde où un sexagénaire rien de plus banal tue sa compagne rencontrée peu de temps avant, en l’étranglant, avant d’acheter le matériel nécessaire pour la découper en morceau pour tenter de cacher son acte et pouvoir revivre comme avant, et que son frère ne le voit pas comme un monstre… Charlotte Rotman fait-elle un éloge sans nuances d’Anne Bouillon ? Oui, peut-être, et après tout, pourquoi pas ? Elle décrit une femme sans failles, qui perd néanmoins de temps en temps, une femme qui se bat, qui est souvent en retard, voyageant de Marseille à Paris pour revenir sur Nantes, là où elle officie. Une femme qui revendique son féminisme par son travail, ses actes et ses projets, et qui malgré les féminicides, continue d’y croire, notamment en la nouvelle génération qui arrive. Les femmes ne meurent pas par hasard pousse ainsi à devenir avocate, avocat, à faire des études de droit, à connaître la loi par cœur et à croire en la possibilité de la justice pour un changement dans la vie quotidienne de ces femmes, ainsi qu’à une transformation sociétale.