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    Les Chevaliers blancs, les meilleures intentions…

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    Les Chevaliers blancs

    de Joachim Lafosse

    Drame

    Avec Vincent Lindon, Louise Bourgoin, Valérie Donzelli, Reda Kateb

    Sorti le 27 janvier 2016

    Après À perdre la raison qui s’intéressait à l’affaire Geneviève Lhermitte tout en la fictionnalisant, Joachim Lafosse donne, dans Les Chevaliers blancs, sa version d’un autre fait divers marquant de ces dernières années, à savoir l’affaire de l’Arche de Zoé, qui avait eu de lourdes répercussions diplomatiques et médiatiques en 2007. Pour rendre à l’écran toute la complexité de cette affaire, de manière à la fois réaliste et cinématographique, Lafosse ouvre son cinéma à une dimension plus spectaculaire et grand public, tout en conservant l’essence analytique et réflexive.

    Le film suit les tribulations d’un groupe d’humanitaires auto-proclamés, emmenés par Jacques Arnault, lequel a réussi à convaincre des familles françaises en quête d’adoption de financer une mission de rapatriement d’orphelins d’un pays africain en guerre. Avec un manque d’expérience flagrant du terrain, ces hommes et ces femmes tentent de convaincre les chefs des différents villages qu’ils vont installer un orphelinat dans lequel les enfants vont pouvoir s’épanouir loin de la menace de la guerre et de la misère, alors que le but final est de les amener en France. Petit à petit, la recherche d’orphelins va s’avérer de plus en plus difficile et la déontologie de moins en moins présente.

    La méthode de Joachim Lafosse est la même dans ce film que dans le précédent : il s’agit de prendre un fait d’actualité marquant et relativement récent pour en faire une fiction sur l’humain et la limite entre le bien et le mal. Comme dans À perdre la raison, c’est des meilleures intentions que découle l’horreur. De la même façon que le médecin trop généreux qui couvait une famille jusqu’à l’asphyxie, ces Chevaliers blancs sont convaincus d’être du bon côté en volant des enfants « pour leur bien », aveuglés par un ethnocentrisme et un néo-colonialisme inconscients.

    Si la démarche de Lafosse avait du mal à convaincre dans le film précédent, car le point de vue n’apparaissait pas assez clairement, ce film-ci éclaire peut être mieux sur la visée du cinéaste. Il veut placer son spectateur – lequel n’est pas forcément censé connaître les origines réelles du scénario – dans la dynamique d’évènements et d’actions irréversibles en train de se dérouler, afin qu’il se rende compte de lui-même à quel moment les choses bascules. Ainsi, l’on peut ressentir de l’empathie pour ces personnages dont les intentions sont a priori louables, les suivre d’abord d’un œil bienveillant, pour se rendre compte a posteriori que leur quête était viciée dès le départ. Il peut donc y avoir un décalage dans la prise de conscience du spectateur par rapport à ce dont il est le témoin, de telle manière qu’il sera amené à reconsidérer avec un œil beaucoup plus critique des faits et gestes antérieurs des antihéros.

    Cette ambigüité des personnages et de leurs actions passe également par le casting, choisi dans l’optique de jouer avec l’inconscient et l’identification des spectateurs. En effet, Vincent Lindon a un passif d’acteur composé de rôles renvoyant globalement une image positive, et représente dans l’inconscient collectif une sorte de français moyen idéal, à la fois charismatique et ancré dans une certaine normalité. Le degré de sympathie dont bénéficie l’acteur porte son personnage à un niveau supérieur d’ambiguïté, puisqu’il suscite presque immédiatement l’empathie. Le même phénomène se produit avec Valérie Donzelli, que l’on identifie presque systématiquement à son emploi de mère-courage dans La Guerre est déclarée, et qui donne ainsi à son rôle de documentariste de moins en moins objective par rapport à son sujet une sorte de caution morale finalement illégitime.

    C’est d’ailleurs par le prisme de ce personnage que Joachim Lafosse confère à son film une dimension réflexive supplémentaire. Il questionne tout simplement la place du cinéaste et sa responsabilité vis-à-vis de ce qu’il filme. Le personnage de Valérie Donzelli est d’abord présenté comme extérieur à la mission humanitaire, et semble tenir à sa position distanciée. Mais au fil du temps, il s’implique de plus en plus sur le plan personnel, même s’il prétend encore à la neutralité jusque dans la scène finale. Lafosse se pose ainsi la question de la distance au cinéma et la réponse qu’il donne va dans le sens d’un recul nécessaire à la réflexion.

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