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    Leprest à l’improviste à L’Orangerie du Botanique le 25 avril

    Si Allain Leprest, disparu en 2011, a toujours eu la reconnaissance de ses pairs – Nougaro voyait en lui « l’auteur le plus foudroyant qu’il ait rencontré sous le ciel de la chanson française » – , il reste méconnu du grand public. Pourtant, quand on découvre Leprest, on ne peut que pleurer le rendez-vous manqué : ils sont peu nombreux, dans la chanson française, à nous émouvoir à ce point.

    Difficile de caractériser l’univers de Leprest, tant il est singulier. Voix de rocaille, regard bleu mouillé rivé sur un horizon qui chavire, il chante la réalité drue héritée de ses origines populaires, celle qui tremble au coin de la rue, celle des jours banals et des bistrots poisseux. Les épaves du temps, les peurs, la colère et les regrets à nu, l’espoir et la mélancolie : Leprest tisse tout ça dans des images étincelantes, des visions qui claquent à fendre le cœur, brutales et lyriques, nées entre l’amour et les arrière-cours, quelque part sur la Manche, sous la pluie, dans les cendres de l’enfance. Il y a un peu de Ferré, d’Higelin et de Ferrat chez cet amoureux des mots, bouleversant de sincérité, habité d’un charisme incandescent qui transparaît sur chaque image qui reste de lui.

    Pas facile d’être à la hauteur de cette aura et de ce souffle, de ce mélange de douceur et de rugosité, alchimie rare de puissance et de fragilité, de déchirure et de flamboyance. Le comédien-chanteur Guy Rombaux, entouré entre autres de Jean-Louis Beydon, qui a accompagné Leprest au piano pendant dix ans, relève le défi, et le résultat est magnifique.

    Rombaux n’imite pas Leprest ; il incarne son monde, avec une humanité et une tendresse vives. Jamais il ne cherche à reproduire son magnétisme, son allure de flamme vibrante, d’écorché au bord du naufrage. Au contraire, Rombaux prend à bras le corps l’univers de Leprest avec ce qu’il est, l’élargissant à ses propres dimensions, larges, généreuses, pleines d’une vitalité rugissante qui n’exclut pas le sens du tragique.

    Son expressivité est aussi profonde que riche, son interprétation très corporelle et théâtrale : on pourrait craindre que Rombaux en fasse trop, se gonfle de Leprest jusqu’à l’éclipser. Il n’en est rien : du début à la fin, accompagné d’excellents musiciens, il touche juste, communique son amour et sa vision sensible du poète pour partager la rencontre de cet artiste unique, nous donner quelques-uns des fragments qui vivent en lui.

    On sort du spectacle avec une gratitude infinie pour Guy Rombaux, Jean-Louis Beydon et les autres musiciens, qui nous ont plongé jusqu’à l’éblouissement dans la texture et l’éclat du poète. Avec, aussi, l’envie de donner rendez-vous à ce qu’on aime pour poursuivre le chemin frissonnant de Leprest, qui continue à courir sur nos peaux.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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