L’Eclat Furtif de l’Ombre
de Patrick Dechesne et Alain-Pascal Housiaux
Drame
Avec Joseph Farroul, Abebe Ephrem Walle, Sara de Roo, Elilte Tareken et Philippe Jeusette
Sorti le 10 décembre 2014
Adisu (Joseh Farroul), vieil homme éthiopien, arpente dans son taxi les paysages hivernaux d’une ville d’Europe du nord, bercé entre ses souvenirs d’enfance (jeune Adisu interprété par Abebe Ephrem Walle) dans son village natal et son quotidien de chauffeur de nuit. L’Eclat Furtif de l’Ombre raconte l’exil d’un homme, de la violence de la guerre à la quête d’humanité dans un monde de solitude.
Le film nous fait entrer d’emblée dans un état de conscience singulier par le biais de paysages nocturnes qui défilent de manière hypnotique. L’absence de dialogue installe le film dans un silence intérieur qui s’étend comme une tache d’huile. L’alarme du passage à niveau, le vacarme du train, les menaces d’un patron véreux, Adisu a le pouvoir de s’en protéger car, enveloppé dans sa surdité, il parvient à s’évader et parcourir les méandres de sa mémoire. Le spectateur bascule ainsi avec lui du confinement d’un taxi vers l’immensité de l’horizon éthiopien, une étendue de poussière, de cailloux et d’arbrisseaux, au-dessus duquel plane un aigle. Symbole de mauvais présage ou de liberté, Adisu va en suivre le chemin, de la frontière du Soudan jusqu’au rives de la Mer Rouge, pour s’extirper d’un conflit qui le poursuit.
Dans sa course effrénée le souffle et les pas saccadés du personnage résonnent dans la brousse comme un chant. Celui de la fuite, de la perte, du deuil et de la solitude, donnant à voir la profondeur d’une plaie qui, mille lieues et des années plus tard, cherche encore à se fermer. L’errance d’Adisu tisse le lien entre le passé et le présent, et prend sens à travers les rencontres qu’il fait avec des personnages fantomatiques, prophétiques ou brisés, que son mutisme forcera à monologuer. Malgré le cheminement un peu flou du personnage, la force du film réside dans cette binarité qui fait d’Adisu le miroir du monde, l’ombre et le silence qui donne à voir la lumière et les voix intérieures de toutes les âmes errantes.
Certains pourraient être décontenancés par un esthétisme contemplatif qui semble parfois prendre le pas sur la narration ou par des ellipses et des analepses temporelles qui rendent l’objectif de la quête incertaine. Pour autant, Patrick Dechesne et Alain-Pascal Housiaux ont réussi à faire aboutir le projet ambitieux de dépeindre l’universalité de la douleur de l’exil à travers le parcours d’un seul homme. Le travail extrêmement minutieux de l’image, de l’univers sonore, du jeu des acteurs, tout participe à faire de ce film un portrait d’une fragilité subtile, qui oscille entre poésie visuelle et récit de vie, dont l’humilité éclaire bien plus longuement que l’on croit.