De Molière
Mise en scène de Michel Kacenelenbogen
Avec Laurent Capelluto, Jonas Claessens, Lily Dupont, Emile Falk-Blin, Janine Godinas, Jeanne Kacenelenbogen, Simon Lombard, Pietro Pizzuti, Réal Siellez, Anne Sylvain
Du 17 octobre au 30 novembre 2024
Au Théâtre Le Public
Une comédie en vers, toujours d’actualité, qui, à travers le personnage de Tartuffe, dénonce avec acuité les manipulateurs de tous bords.
Orgon, bourgeois fortuné et charitable, est subjugué par Tartuffe, un gueux pieux qu’il a rencontré à l’église. Tant et si bien qu’il lui ouvre les bras et les portes de sa maison. Aveuglé par les beaux discours de son prétendu ami, le patriarche ne voit pas le danger imminent qui guette son foyer. Il tente de l’imposer à ses proches par tous les moyens. Fort heureusement, sa famille, plus lucide, a vite compris que Tartuffe convoitait les femmes de la maison tout en mettant la main sur la fortune d’Orgon. Et elle ne ménagera pas ses efforts pour lui faire déciller les yeux.
Une pièce subversive sous le règne du Roi-Soleil
En dénonçant les abus de pouvoir et l’hypocrisie religieuse, Le Tartuffe de Molière sort des rangs à l’époque, se démarque des conventions du classicisme. Cette pièce qui met à nu les imposteurs, les faux dévots, prônant des valeurs qu’ils ne suivent pas eux-mêmes dans la volonté de se faire passer pour des vertueux aux yeux des autres, est vite perçue comme une menace par les conseillers du Roi Louis XIV. Soucieux de préserver l’ordre établi, fondé sur l’ordre et la mesure, ils décident de censurer l’œuvre pour éviter tout trouble. Elle sera réhabilitée quelques années plus tard à la suite d’une version remaniée par Molière en cinq actes, moins sombre.
La troupe réunie autour du metteur en scène Michel Kacenelenbogen porte avec brio cette comédie de Molière en alexandrins qui brille par la beauté de la langue. Le décor et dépouillé pour mieux faire entendre les vers qui sonnent bien et résonnent dans l’oreille. Certaines tirades nous échappent parfois car le texte de Molière est riche et complexe. Mais la prosodie nous berce et la gestuelle des comédiens nous éclaire sur les émotions et les pensées des personnages. Les ressorts comiques et tragiques se succèdent, nous entrainant dans un tourbillon d’émotions contradictoires. Dans la peau du maître de maison, Laurent Capelutto incarne parfaitement un patriarche autoritaire, traditionnel, borné et drôle. Quant à Pietro Pizzuti, il apporte au personnage de Tartuffe des touches d’humanité, révélant ainsi la complexité psychologique d’un personnage souvent caricaturé.
La double domination
Au centre du Tartuffe proposé par Michel Kacenelenbogen se retrouve aussi un double abus de pouvoir : l’alliance de Tartuffe et d’Orgon. Ici, la puissance du patriarcat s’appuie sur la morale spirituelle pour renforcer sa légitimité et son pouvoir. Qui parviendra à renverser ce duo dominateur ? Elmire, Marianne et Dorine. Trois femmes modernes qui feront preuve d’ingéniosité et de courage afin de renverser l’ordre établi.
Les Tartuffes d’aujourd’hui
Mais la force de cette pièce de Molière réside également dans la satire sociale qu’elle nous offre, toujours criante d’actualité. Les masque de la dévotion nous renvoient aux dangers de la manipulation et de l’hypocrisie, aux faux-semblants qui parsèment nos vies. A tous ceux qui présentent une image d’eux-mêmes bien lisse et consensuelle pour pouvoir gagner plus de prestige sans considération pour ceux qui sont dupes de leur jeu. Qui sont les visages modernes des Tartuffes d’hier ? Certaines figures religieuses controversées répondent à l’appel comme l’abbé Pierre ou le prédicateur Tariq Ramadan ainsi que tous les prêtres impliqués dans des abus sexuels. Des influenceurs et des personnalités publiques peuvent aussi être épinglés à l’image de Kim Kardashian qui prône l’acceptation de son corps tout en faisant la promotion de méthodes de beauté controversées ou à l’instar de Leonardo Di Caprio, acteur activiste et militant en faveur de l’environnement, traité d’éco-hypocrite après avoir passé ses vacances sur un yacht XXL. Sans parler des politiciens aux discours populistes et des grandes marques de mode coupables de greenwashing…
Comme toutes les comédies de Molière, le Tartuffe n’a rien de poussiéreux : il pointe des défauts que l’on retrouve chez l’homme à toutes les époques. L’objectif de Molière a toujours été de corriger les mœurs par le rire. A nous, aujourd’hui comme hier, d’en prendre bonne note et de rester vigilant en exerçant notre libre arbitre face aux abuseurs de notre temps.