Mis en scène par Fabrice Murgia avec Valérie Bauchau, Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa Compagnucci, Vinora Epp, Léone François, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, Scarlet Tummers et Alfredo Canavate. Musique et voix d’An Pierlé Du 25 septembre au 12 octobre 2018 au Théâtre National. Crédit photo : Hubert Amiel
Fabrice Murgia choisit pour son nouveau spectacle de peindre le portrait d’une figure importante de la poésie britannique, Sylvia Plath. Pour cela, il met en place un dispositif de caméras qui retransmettent en direct ce qui se passe sur scène.
« Il y a en moi une voix, qui refuse de se laisser réduire au silence. »
On assiste au récit de la vie d’une femme, d’une poétesse, qui tente par tous les moyens de s’exprimer. Ses mots sont nécessaires, ils transmettent son besoin urgent d’écrire et lui permettent d’exister. On se reconnait dans son exigence, dans sa peur constante de ne pas être à la hauteur et de ne pas être à sa place. Déchirée entre sa vie personnelle et son besoin d’écrire, elle cherche en vain une reconnaissance. Peinte comme une héroïne de roman, elle devient un personnage martyr qui porte en elle une profonde et incurable douleur. Elle jouait avec la mort, ses tentatives de suicides se sont répétées et il aura fallu un dernier face à face. Ses premiers mots sonnent comme un sursis. Son cri étouffé résonne sur scène, sa frustration de ne pas pouvoir être libre. Les dictats de la société l’enferment, le jugement ancestral l’étouffe.
Les stéréotypes de l’homme et de la femme se succèdent dans une terrible lucidité, l’ambition de l’homme, la réduction de la femme appliquée par l’autre mais aussi par soi. Un complexe d’infériorité qui nous suit comme un spectre et qui développe nos plus grandes phobies. Fabrice Murgia crée l’homme X, celui qui menace d’enlever à la femme son indépendance. La pièce plonge dans un univers onirique, où se dessinent des images cauchemardesques de la ménagère et de la mère au foyer. La réalité se tord dans nos peurs, on perçoit la détresse de Sylvia Plath.
Dans un décor de plateau de cinéma, qui ne cesse de changer, se succèdent espaces intimes et publics. L’ensemble de l’équipe théâtrale réussit à nous immerger dans l’univers retro des années 50. Entre décors, costumes et musiques, on danse sur le jazz endiablé de Koen Gisen, Casper Van de Velde et Hendrik Lasure. La voix mélancolique d’An Pierlé berce la pièce tout en accusant la violence sociale d’une société.
Neuf femmes, d’âges et d’origines différentes, portent avec force la voix de Sylvia dans différentes langues. La caméra danse entre elles, et permet de retenir parfois un visage. Elle passe alors de la foule à l’individu, des femmes à Sylvia Plath, de Sylvia Plath à une femme. Le groupe de comédiennes est très beau, c’est le chœur de la femme qu’elle revendique, s’unissant pour pleurer, clamer, ou encore détruire.
La mise en scène reprend parfaitement les codes du cinéma. L’ambiance sonore et l’image très esthétique retranscrivent ce qui pourrait être le biopic de la poétesse. Les informations fusent et l’urgence prend souvent le dessus. Face un à un rythme aussi soutenu, on manque de moments de rupture et de souffle. La musique est toujours présente, la caméra aussi, et nos yeux sont rivés sur l’écran. On aurait pu souhaiter plus de face à face avec les comédiennes car quand cela arrive, le temps se suspend. Les visages de ces femmes nous échappent souvent, on se perd dans la masse. La force se dilue parfois dans l’accumulation et la complexité.
Sylvia est un journal intime éventré qui nous livre par morceaux son auteur. La pièce réussit à traiter d’un conflit générationnel tout en dressant le portrait poignant d’une de ses victimes. Et c’est au final un rappel vibrant aux femmes que, quelques soit les embuches, nous ne devons jamais cesser de créer et d’être.