Le Poirier sauvage
de Nuri Bilge Ceylan
Drame
Avec Doğu Demirkol, Murat Cemcir, Bennu Yıldırımlar
Sorti le 29 mai 2019
Après Il était une fois en Anatolie en 2011 et Winter Sleep, lauréat de la Palme d’or, en 2014, Nuri Bilge Ceylan explore une fois encore l’humanité et la société turque dans ce nouveau film.
Après ses études, Sinan retourne dans son village natal. Là, il s’aperçoit que rien n’a changé, bien que tout soit différent. Tentant de publier le livre qu’il a écrit, sorte d’autobiographie plus ou moins fictionnelle, il doit faire face à de nombreuses difficultés, notamment économiques. Les dettes de son père et la pression sociale qui le pousse à choisir une existence plus conventionnelle n’arrangent rien…
Dans Winter Sleep, déjà, c’était à l’aide de longs dialogues profonds que le réalisateur décortiquait le monde, ses habitants et les relations qu’ils entretiennent. Telles les racines d’un arbre qui s’entremêlent et communiquent pour créer un « tout » commun, c’est au fil de ces discussions que l’on perçoit tout l’enchevêtrement des existences dans le village de Sinan, de sa famille et de ses amis. Cette profusion de dialogues, très bavards, est cependant à double tranchant : si elle apporte énormément de réflexions intéressantes et permet d’apercevoir toutes les ramifications des histoires des personnages, elle se révèle malheureusement à certains instants un brin fastidieuse, compte tenu de la durée du film. Ceci n’amoindrit pas véritablement sa qualité générale, mais sans doute est-il nécessaire de le revoir pour ne pas perdre une miette de ces échanges.
Le Poirier sauvage, c’est également le titre du livre écrit par Sinan, titre qui démontre toute la dualité et l’ambivalence de son auteur : à la fois profondément enraciné dans la terre et donc immuable, il est toutefois « sauvage ». Aussi, Sinan avoue sincèrement « ne pas aimer les gens », tout en leur dévouant un grand amour en leur consacrant un livre.
Une volonté de changement couplée au désespoir et à l’impossibilité d’un renouveau, autre, parcourent le film, comme si l’on ne pouvait pas réellement choisir notre avenir et que notre simple naissance nous enjoindrait irrémédiablement à répéter et à reprendre les mêmes traits que ceux nos parents. Personne ne semble véritablement bon aux yeux du cinéaste, bien que personne ne soit profondément mauvais : sous la misanthropie de façade, se cache en réalité une grande humanité… à moins que ce ne soit l’inverse.
Enfin, visuellement, et comme l’étaient déjà les précédentes réalisations de Nuri Bilge Ceylan, Le Poirier sauvage est d’une grande beauté, qu’il s’agisse des paysages ruraux de l’Anatolie ou des paysages urbains de certaines villes. À l’instar de ce qu’éprouve son personnage principal, il y a probablement à déceler chez le réalisateur un amour profond pour son pays et ses habitants, mêlée à une volonté d’en démontrer plus d’un aspect.
Avec Le Poirier sauvage, Nuri Bilge Ceylan poursuit donc une cartographie non pas seulement d’un lieu précis, d’une époque, ou d’une région, mais détenant également des retombées et résonnances plus universelles. Ainsi, si le village et les personnages présentés ici détiennent bien évidemment leurs propres particularités, ils pourront cependant, à certains égards, faire écho à de nombreux spectateurs.