Titre : Le murmure
Auteur.ice : Christian Bobin
Éditions : Folio
Date de parution : 20 mars 2025
Genre du livre : Poésie
Christian Bobin, qui nous quitta pour rejoindre le chœur angélique et une éternité de célestes fastes, écrivit, à l’hôpital, les mots qui composent Le murmure. La collection de poche des éditions Gallimard nous y donne désormais accès.
Béatitudes
Christian Bobin, à saute-mouton par-dessus les siècles, dut parvenir au mont des Béatitudes, où le Christ prononça son célèbre sermon sur la montagne. Le poète en fut sûrement l’auditeur, lui qui sût ensuite prêter attention aux plus petits d’entre nous et entendre les murmures de l’homme-Dieu jusque dans les pétales d’un coquelicot. Toute l’œuvre de ce disciple de Jean Grosjean, depuis son voyage dans le temps, est traversée par le souci du très-bas : les fleurs, entre autres, par lesquelles il se laisse évangéliser, et dont il conte les merveilles évanescentes mieux que quiconque, furent les instigatrices — ou, à tout le moins, les catalyseurs — de sa poésie, elles qui commentaient le ciel bien avant les premiers textes sacrés.
En s’émerveillant de la symphonie silencieuse de la Création dans ses éléments les plus humbles, en se pâmant d’admiration devant le miracle permanent du monde, Christian Bobin pourrait donner l’air d’être mièvre. Pourtant, de toute évidence, il se montre pleinement poète, rappelant à notre regard l’empan des beautés qui lui échappent.
Les fragments de ce livre constituent un chemin musical, sillonné par les silences, un sentier où se rencontrent Chopin, Bach, Django Reinhardt et surtout Sokolov. Le poète, qui nous souffle à l’oreille ses mélodies réjouissantes, nous redonne foi en la parole et en sa capacité à vivifier les corps diminués par l’asthme ontologique qui s’est épidémiquement répandu sur notre époque nihiliste.
Lettera amorosa
Le murmure est d’abord une lettre d’amour à tout ce qui, dans cette vie, a compté pour le poète, si que le lecteur familier de son œuvre y verra comme la synthèse des thèmes qui lui ont tenu à cœur : il convoque ce qu’il chérit, ce qu’il tient en sa dilection, et n’a de cesse d’y faire retour. Christian Bobin est un poète de la rencontre, un poète qui jubile de dresser le portrait, toujours inachevé parce qu’infini, des choses qu’il aime : sa poésie ne se lasse pas de ressasser l’attitude d’une main ou la courbure d’une fleur. Et les plus belles pages de ce recueil de fragments sont certainement consacrées à son épouse, à qui l’ouvrage est dédié, où affleurent tant de douceur et tant d’admiration, tant d’amour et tant d’espérance.
Mais toute lettera amorosa a son pendant : une lettera odiosa. Ainsi, l’auteur nous dit-il, en vitesse, ce qu’il ressent comme odieux, spécialement ce qui avilit les arts : le recul de l’écriture manuscrite, qui délie toujours davantage la main et le cœur ; les applaudissements après les concerts de ‘musique classique’, qui abîment le silence ponctuant la musique ; ou encore les faux-poètes qui trahissent l’attitude poétique en se mettant au service du monde. Le diable, comme le remarque Bobin, est dans l’importance que l’Homme se donne à lui-même, et tant d’individus, éhontément, sabordent le monde de la vie pour s’auréoler au nom d’un primat illusoire et mesquin.
Que dire encore, sinon se taire et laisser infuser en nous les mots du poète ? Les derniers mots d’un homme dont nous avons encore tant à apprendre, dont la lecture enchante et dessille les regards las, aveuglés par un matérialisme borné qui participe au naufrage de la Création.