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    Le festival Factory, utopie et violence, faut-il cesser d’y croire ?

    Le festival Factory, c’est une possibilité qui est offerte aux artistes présents d’expérimenter et de grandir sur scène, en proposant des débuts de spectacle ou en exposant oralement des bouts de pièce à venir. De cette journée passée à découvrir leur univers, je retiens 3 points forts et 2 promesses.

    D’abord, les 3 points forts.

    ©Dominique Houcmant

    Et pourtant le soleil se lève, écrit et joué par Damien Trapletti. Il attend que nous soyons assis pour préciser ce que nous allons voir : l’histoire d’un conte ancien, sorti du tombeau par Dario Fo, l’histoire d’un jongleur, comme on nommait les comédiens avant. De son masque blanc, il nous sourit avant de nous quitter, de se cacher derrière le rideau rouge pour devenir cet autre, ce paysan qui deviendra jongleur. Mais le deviendra-t-il seulement ? Et y croira-t-il lui-même ? Dans cette étape de travail de 35 minutes, Damien Trapletti dévoile ces personnages et se joue de nous, de lui, du théâtre. Tout paraît simple, ne reposant que sur lui, ses mots. Sauf que Trapletti connaît son corps, ses effets, son art et que tout est maitrisé. Et que c’est si beau de voir un comédien jouer, jouer vraiment, puis faire semblant de jouer, jouer de la croyance bête que nous avons de ce qu’est ou devrait être le théâtre. Mais que fait-on, quand l’artiste lui-même cesse d’y croire ? L’auteur a toutes les clés pour créer un spectacle confondant, rappelant les meilleurs moments de La tragédie comique de Ève Bonfanti et Yves Hunstad. En tout cas, moi, j’y crois.

    ©Dominique Houcmant

    Fleuve, écrit et mis en scène par Jean Leroy. D’une démarche assurée mais non sans émotion, Jean Leroy annonce la présentation du projet en 25 minutes. Son discours, murement choisi et énoncé, sera rythmé par le jeu de 2 comédiennes et de 2 comédiens. Dans ce futur spectacle, Leroy raconte son histoire, l’histoire de son père, l’histoire d’une ville qui se réveille « groggy » et l’histoire d’un pays. La tragédie est connue, avec plus ou moins de détails. Des jeunes ont torturé et noyé un autre jeune porteur d’handicap, un jour, il n’y a pas longtemps, à Huy. Les faits, médiatiquement partagés sans relâche, ne seront pas au cœur du projet. Leroy s’intéresse à un autre type de fait : le lendemain, une ville qui se réveille groggy, comme l’ont écrit des journalistes. Comment voit-on qu’une ville se réveille groggy ? Alors, ce qu’il va faire, c’est interroger son père, pompier qui sortit de l’eau le corps de l’adolescent, interviewer aussi des journalistes qui ont travaillé sur l’affaire ainsi que d’autres jeunes qui avaient le même âge que la victime et ses bourreaux. Les 4 comédien.ne.s sur scène rejoueront alors, aux gestes et aux mots près, ces êtres humains qui auront perdu un peu de légèreté ce jour où le corps menotté de ce jeune garçon aura été repêché par le papa pompier de Leroy. Un spectacle qui serait à la fois un hommage émouvant, une catharsis collective et une tentative de saisir comment on se relève après avoir touché un peu trop près l’horreur en bord de Meuse.

    © Barbara Buchmann-Cotterot

    La salope du village, de Pierrick De Luca, avec Zoé Kovacs et lui-même, est né à Factory et est devenu aujourd’hui un spectacle d’une heure qui tourne ou que personne n’empêchera de tourner. Après l’avoir vu à la Maison-Poème en janvier dernier, suivi d’une rencontre avec Myriam Leroy, je ne souhaitais qu’une chose : revoir un jour la pièce pour comprendre. Comprendre quoi ? Pourquoi je m’étais fait « avoir », comment je m’étais retrouvé les larmes sur le point de sortir alors que la présentation vintage de cette enquête menée avec un téléphone, un ordi et un vieux Powerpoint pourrait paraître difficilement émouvante, de prime abord. Tout commence par un verre de porto, pour les intéressé.e.s, verre de porto qui sera suivi d’un autre, et de chansons, pour faire des pauses. Parce que des pauses, dans la tension créée par le jeu de De Luca et Kovacs, le public en aura besoin. Ils nous parlent de manière naturelle, si naturelle qu’on croirait du non-jeu. Et de ce non-jeu, ils se racontent à travers les disparues de ce village : ils égrènent leurs noms, leurs photos, leurs particularités de vie, leurs surnoms. Toutes des salopes, et un petit pd. Toutes insultées, objets de crachat, de mépris, de violence, toutes mortes au fond d’elles-mêmes. Et c’est en soulignant leur dignité, et leur manière de faire face à la norme, aux hommes et leur monstruosité, que De Luca et Kovacs s’allient, ensemble, avec beaucoup de complicité, pour lancer sur scène une lutte contre ces harcèlements continuels, une lutte rétrospective et future.

    Ensuite, les 2 promesses.

    Menace chorale, présentation de projet de Gabriel Sparti, en provenance de la Suisse italienne, joué également par Laure Valentinelli. En 25 minutes, on aura un aperçu de ce qui motivent ces-là : comment la masse devient fasciste, subrepticement, sous l’égide d’une cheffe d’orchestre qui leur fera interpréter des chants hurlés du temps de Mussolini, des colonels grecs ou des nazis. Et puis, de là, Sparti devra trouver une fin, qu’il avoue ne pas avoir encore arrêtée, qui réfléchira à la notion d’utopie. Analyser la montée de l’extrême droite, c’est sympa, oui, mais et alors ? Qu’en fait-on ? Que pouvons-nous en faire ? Quelles utopies sont-elles encore possibles ? Sparti et Valentinelli nous présentent ce sujet-là, de manière peur conventionnelle. Tout aurait pu être maîtrisé mais la maitrise est sûrement utopique. Il y a des flottements, de l’étrange, presque du malaise. On se questionne, il se passe un truc, indéniablement, sur cette scène, entre ces deux individus. Une lutte. Qui a le pouvoir ? Qui cherche à maitriser l’autre ? Et puis soudain, Valentinelli se lève, et de son accent romain prend tout l’espace, occupe la pièce, les voix, la mélodie. Sparti n’a d’autres choix que de chanter, encore et encore. Il est à sa merci. Et en quelques minutes, voilà que les deux artistes ont dévoilé leur (tour de) force, leur duo, la présence scénique de Valentinelli, la (fausse ?) fragilité de Sparti, leurs références (Mars de Fritz Zorn) et la puissance de la cheffe d’orchestre, qui entraînera la masse vers les idéologies d’extrême droite, non sans accroc, sans vertiges, sans possibilité de fuir ou de dire « merde ».

    White noise, présentation de 20 minutes de Violette Pallaro, avec Olivia Carrère et Valérie Périn. D’abord d’un filet de voix, Pallaro commence cette déambulation au cœur de l’adolescence. Elle raconte leurs désirs, leurs souhaits, leurs fantasmes. Elles ont été interviewer des jeunes, à l’Athénée Léonie de Waha, et se sont inspirées d’une photo d’une artiste polonaise, dans laquelle une jeune fille, en maillot de bain, enfonce ses pieds dans ce sable mouvant recouvert par le va et vient des vagues. Avec cette question en tête : est-ce elle qui tourne le dos à la mer, ou est-ce la mer (la mère) qui lui tourne le dos ? De là, dérive une réflexion sur l’adolescence, ou l’adolescente. Celle de la photo, celle qu’elles ont été, celles qu’elles ont interviewées, celle que leur mère a été, ou celle qu’elles auront un jour comme filles si elles ont des enfants (et des filles) ? Tout est un peu « foutraque », il faut bien l’avouer, dans ce mélange scénographique d’images déplacées en temps réel par Périn sur un agrandisseur, alors que la voix de Pallaro se fait forte et confiante et que les sons de Carrère emplissent la pièce. Tout se mélange, les photos, les images, le texte, les adolescences. Et pourtant, de là se dégage une belle symbiose entre les trois femmes qui ont l’air de savoir ce qu’elles font là, sur une scène de théâtre, tandis que ce flot d’informations semble pareil à celui traversant un cerveau en ébullition, qui ramène au présent un instant de vie à un autre, sans liens ou logiques autres que les lois qui lui sont propres.   

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