Le Créateur
de Gareth Edwards
Science-fiction, Drame, Aventure
Avec John David Washington, Gemma Chan, Ken Watanabe
Sortie le 27 septembre 2023
Par un heureux hasard, Le Créateur sort en salle au moment où l’actualité mondiale s’embrase au sujet de l’IA. L’avènement de logiciels comme Midjourney ou ChatGPT effraie autant qu’il fascine, agace autant qu’il se rend utile. Preuve en est, la plainte déposée par l’auteur de Game of Thrones, George R. R. Martin, qui considère comme du vol l’utilisation par certains logiciels de ses livres ou les différentes forces politiques qui demandent un moratoire sur l’intelligence artificielle. C’est donc dans un contexte d’effervescence et de débat que le dernier film de Gareth Edwards se greffe à l’actualité. Et pour cause, le long-métrage part du postulat qu’une IA (il faut ici comprendre IA par robots humanoïdes dotés d’une intelligence artificielle) omniprésente en Occident s’est rebellée en lançant une tête nucléaire sur Los Angeles entraînant l’immédiat rejet américain de celle-ci et une guerre contre la « Nouvelle-Asie », sorte de méga-État d’Asie du Sud-Est, qui l’utilise toujours.
Le film propose deux réflexions intéressantes. La première, évidemment, sur l’IA, sur sa nature, l’humanité qu’on lui prête, l’utilisation qu’on en fait. La seconde, plus profonde encore, sur la guerre. Plus que la critique d’un interventionnisme américain c’est le principe de guerre idéologique qui est interrogé : pour qui ? par qui ? mais surtout pour quoi ? La vacuité des réponses à ces questions et la prise de conscience d’une guerre insensée proposent une vision, peut-être un peu naïve, mais sans nul doute critique à l’égard de décisions géopolitiques qui semblent incontestables de prime abord.
Ainsi, Le Créateur est un blockbuster aux réelles ambitions et offre une véritable humanité à son protagoniste. Acceptant la mission qu’on lui donne dans le seul but de retrouver la femme qu’il aime, il n’hésite pas à naviguer entre les deux camps pour parvenir à ses fins. Trompant souvent, utilisant tout le monde, il n’est pas le héros à la bonté christique mue par la volonté de bien faire, mais un être humain à la quête égoïste avançant par essai-erreur et ne se préoccupant pas des conséquences guerrières de ses choix.
À la différence de nombre de blockbusters qui lui sont contemporains, Le Créateur est donc un film sérieux, là où les blagues et le ridicule dans le but de cacher la vacuité du discours est monnaie courante, aspirant à la réflexion et n’opposant pas, dans une divagation manichéenne, une vision simpliste enviable à une vision simpliste intolérable. Pour les mêmes raisons que Rogue One (2016) dénote des autres films Star Wars, Gareth Edwards démarque son nouveau film, non pas par une narration novatrice (le film suit un schéma tout à fait classique) ou un « toujours plus » propre aux blockbusters, mais, par une ambition de discourir, de proposer une vision du monde autre que « quand on est gentils, on veut que tout le monde soit gentil et vive ensemble ».
Cependant, le film n’en reste pas moins une superproduction à 80 millions de dollars et bien qu’il se veuille comme « le film indépendant le plus ambitieux jamais produit »[1] il doit répondre d’un tel investissement. On peut, ainsi, regretter une fin de film beaucoup moins mesurée où le débat se polarise : les antagonistes deviennent de véritables méchants déshumanisés alors que le protagoniste se revêt de principes et de vertus. Les ambitions semblent donc ici se heurter à des réalités économiques, à une certaine frilosité narrative et discursive qui ferme un film, ayant pourtant ouvert tant de portes, sur l’habituelle morale du vivre ensemble et de la supériorité du bien sur le mal. Malgré une fin malheureuse qui laisse un goût d’inachevé, il reste beaucoup à garder d’un film qui pourrait enthousiasmer autant les amateurs de blockbusters à gros bras que ceux de films de cérébraux.