Titre : Le chant du prophète
Auteur.ice : Paul Lynch
Edition : Albin Michel
Date de parution : 02 janvier 2025
Genre du livre : Roman
Enfin traduit, le lectorat francophone peut désormais découvrir le texte qui a valu à Paul Lynch, en 2023, le prestigieux Booker Prize, considéré comme l’équivalent anglais de notre Goncourt.
Le chant du prophète s’entame sur l’inquiétante musique de quelques coups frappés à la porte alors que dehors il fait déjà noir. Quelques battements et c’est une vie de famille qui se fissure. Les deux policiers qui se tiennent dans l’embrasure, à la recherche du mari d’Eilish, semblent transporter avec eux toute l’obscurité de la nuit. Larry doit les contacter le plus vite possible. Dès son retour à la maison, en fait. Et puis dans le quartier, il y a ces bruits qui courent. Cette rumeur glaçante qui flotte. Le présage d’un futur à la Georges Orwell qui s’immisce dans les foyers.
C’est inspiré de l’héritage littéraire de 1984 que démarre donc le récit, avec une première mesure du gouvernement visant à dissoudre les syndicats afin de minimiser les risques de violentes insurrections. Le décor est planté en Irlande, où il nous paraît encore invraisemblable que des droits aussi fondamentaux que ceux qui articulent le travail et protègent les salariés puissent être menacés. Inévitablement, nous rangeons Le chant du prophète dans la catégorie des dystopies, incapables d’imaginer la société qui y est décrite comme autre chose qu’une société imaginaire. Mais plus le récit avance, plus les choix auxquels est confrontée Eilish nous rappellet amèrement quelque chose. Cette brutalité qui nous paraissait encore que fiction prend, d’un coup, forme dans nos mémoires. Elle nous évoquent les supplications de ces voix sans noms dont l’agonie nous parvient depuis l’autre bout du monde par le biais de notifications ou de journaux télévisés.
En fait, Le chant du prophète n’est pas anticipatif. Il déplace la guerre. La guerre et avec elle, l’exil. Ce n’est plus une Irlande du futur dans laquelle nous nous trouvons. Nous sommes en Ukraine, en Afghanistan ou encore en Palestine. C’est d’ailleurs à partir de l’histoire de la Syrie, avant l’effondrement du gouvernement Al Assad, que s’est échafaudé ce récit qui a valu à son auteur le prestigieux Booker Price. Salué pour son écriture électrique, cacophonie de mots qui s’enchaînent sans retour à la ligne, Paul Lynch restitue, dans une langue et une mise en page oppressive, ce que les médias ne montrent pas de la guerre. Il décrit les hésitations d’une mère qui doit faire un choix atroce, la colère d’un fils qui ne comprend pas pourquoi son père ne revient pas ou encore la rigidification des institutions comme l’école. Paul Lynch nous ôte, par le biais de la fiction, nos œillères qui nous poussent à envisager certaines situations géopolitiques à partir de notre position confortable d’Européens.