Texte de Louis Althusser, adaptation et mise en scène de Michel Bernard, avec Angelo Bison. 6 au 16 février 2020 au Théâtre des Martyrs. Crédit photo : Rudy Lamboray
Un dimanche matin de novembre 1980, alors qu’il était encore en robe de chambre, un homme tue sa femme. Il l’étrangle d’un geste semi-conscient, d’un massage -comme il le dit- pour ensuite aller chercher un médecin en criant et en avouant son acte. Déclaré non responsable de ses actions, à cause d’une pathologie mentale, il est interné dans la clinique psychiatrique où il avait déjà séjourné auparavant et il n’aura jamais droit à un procès. Condamné à un silence sans appel, Louis Althusser écrit L’avenir dure longtemps dans l’extrême tentative de raconter la vérité et d’expliquer les raisons de ses actes meurtriers. Il reconnaît son crime, il reconnaît sa folie. De la même manière, sans vouloir se justifier, mais seulement avec l’intention d’éclaircir la complexité des faits, il parle au public de la petite salle du théâtre des Martyrs, incarné par un intense Angelo Bison. Est-il un monstre ? Est-il malade ? Est-il juste un homme victime de sa vie, de sa généalogie, du système ? Au public d’écouter et de juger cela.
L’avenir dure longtemps est une adaptation de l’autobiographie homonyme de Louis Althusser, un seul en scène poignant et direct. Il s’agit d’un plaidoyer que cet homme, tel un héros tragique, prononce enfin, au bout d’un silence déshumanisant. Angelo Bison incarne le personnage sans oublier la personne. Sa voix c’est la voix d’un homme qui veut rester humain. Il ne joue pas la folie, il fait confiance au texte et à sa présence, et il convainc le public d’écouter son réquisitoire.
Ses yeux, comme deux fenêtres sur les spectateurs, cherchent à restituer une dimension humaine à une affaire légale et médicale qui a négligé l’aspect vivant de la question. Conscient de ses failles, il nous raconte son enfance désabusée et l’amour malsain et inévitable pour cette femme qu’il a fini par tuer. Et alors on se demande où est la limite entre la folie et l’amour. On accède à son propre tribunal intérieur et on se rappelle de la complexité des relations humaines, de la relation avec soi-même et avec sa propre histoire. On est juge et jugé en même temps, en tant qu’humains et êtres faillibles.
Dans une scénographie assez minimaliste mais très centrale, des vidéos recréent les différentes ambiances de la narration. Des branches bougent, la neige tombe, la ville s’étale comme un paysage vu au travers d’une grande fenêtre. Bien que l’esthétique des créations vidéo soit agréable, on se demande si cela apporte vraiment quelque chose à la narration. Les effets sonores, assez brefs et dispersés tout au long de la narration, à notre avis, n’aident pas à rentrer dans l’histoire, au contraire, ils risquent par moments de sortir le spectateur de cette bulle d’intimité que le jeu d’acteur arrive à créer.
L’avenir dure longtemps est une plongée dans l’univers de la mélancolie et de ses conséquences extrêmes, un spectacle défendu sur scène par un artiste du regard qui, comme un peintre, nous tisse le portrait d’un homme, de sa vie, de son amour, de sa folie.