Conception et mise en scène Laure Lapel
Dramaturgie et co-écriture Jérôme Michez
Interprétation Yasmina Al-Assi, Simon Letellier
Du 4 avril au 27 avril 2025
Au Théâtre de l’Océan Nord
Spectacle interactif, le public a droit à la parole mais il n’est pas certain que celle-ci va porter ou changer les choses. Entre reformulations et synthèses, la consultation populaire montre les limites qu’on lui a fixées.
Le dispositif est bifrontal, le public est réparti de part et d’autre de l’espace scénique, tout en longueur. Le sol est grilles ajourées laissant voir un enchevêtrement de tuyauteries diverses. Une femme, Yasmine (Yasmina Al-Assi), on l’apprend plus tard, travaille pour une ASBL paracommunale active dans l’urbanisme. Un homme, Simon (Simon Letellier), est employé par une agence en charge du paysage.
« Nous allons placer une chaise au centre de cet espace », faute de réaction du public Yasmine insiste : « l’idée est de concevoir ensemble cette chaise ». Les spectateurs ont donc carte blanche mais il faut respecter le protocole. Un signe pour demander la parole, le ou la consultante s’approche de vous et vous lui parler à voix basse pour ne pas être entendu par le reste du public. Seules trois interventions sont possibles : une suggestion, une question ou une critique.
Et le projet de chaise évolue, se transforme, au gré des suggestions du public, vers quelque chose de plus confortable, plus standing. Certaines propositions sont mises au vote dont le résultat est en général très tranché. Mais très vite, on se rend compte qu’il n’est pas le seul à décider. Des contraintes non annoncées au départ apparaissent et semblent incontournables. Des décisions ont manifestement déjà été prises en haut lieu et les deux consultants ont le chic pour éluder les questions qui fâchent : « remarque très pertinente, c’est noté », « je n’ai pas la réponse mais je vais faire remonter l’information », « personne ne vous force à rester jusqu’à la fin de la consultation », ….
Le projet vise à augmenter le nombre d’assises dans l’espace public. Il a en effet été constaté un déficit de place pour s’asseoir et l’objectif est de donner un nouveau visage au territoire. Et le jargon des urbanistes ou le discours lénifiant sur les avantages de ce projet arrivent vite pour noyer le poissin et mettre en évidence que le pouvoir de décision des intervenants est sévèrement limité. La décision de placer cette chaise est prise, la consultation ne porte que sur la couleur et le design.
Laure Lapel nous avait déjà séduit avec La place où elle évoquait la transformation (la gentrification, en fait) d’une place bien connue à Ixelles au travers du témoignage de trois habitués du lieu. Ici, la construction du récit se fait tout en subtilité, les deux comédiens étant particulièrement doués à rebondir sur les suggestions/questions/critiques qui leur sont adressées. Nous sommes en plaine improvisation et ils s’en sortent avec brio.
Le spectacle L’autre projet s’inscrit dans le cadre du festival « Espèces d’espaces » (du titre d’un ouvrage de Georges Perec) qui propose une « Exploration poétique et politique de notre environnement ». Du quartier Manhattan à Bruxelles en passant par un maquis de Ouagadougou, les créations comme L’Autre Projet de Laure Lapel, Toutes les villes détruites se ressemblent de Bogdan Kikena et Magrit Coulon ou encore Legs (suite) d’Edoxi Gnoula et Philippe Laurent nous invitent à revisiter les espaces que nous traversons. En marge du festival, des rencontres, des conférences, des tables rondes et une exposition des photos de Madeleine Camus. Et une nouvelle édition de Les échappées urbaines réalisée par Isabelle Jonniaux, balades sonores interactives et audio-guidés dans les alentours du théâtre.
Plus d’informations sur le Festival Espèces d’espaces : https://www.oceannord.org/2024/festival-espece-despaces/
